EXPOSE DU LITIGE
Le 30 août 2008, Monsieur B X et Madame E F épouse X ont été victimes d’un grave accident au cours d’un vol en montgolfière organisé par l’association Aérostatique du Nord de la France, lors du changement de bouteilles de gaz par le pilote.
A la suite de cet accident , Monsieur B X et Madame E F épouse X ont présenté de graves brûlures affectant 30% de la surface corporelle et ont été admis dès le 30 août 2008 au centre des brûlés de l’hôpital de LILLE.
Par ordonnance de référé du 18 mai 2010, le Président du Tribunal de grande instance de NANTERRE a ordonné une expertise judiciaire confiée aux Docteur Y, médecin expert et Z, psychologue expert.
Les experts ont terminé leur rapport le 18 mai 2011.
Par actes d’huissier délivrés les 25, 26 avril 2013 Monsieur B X et Madame E F épouse X ont fait assigner en responsabilité l’association Aérostatique du Nord de la France, la Compagnie J K L ET SPECIALTY et la Caisse primaire d’assurance maladie de LILLE en réparation du préjudice corporel de Monsieur X et en expertise judiciaire pour l’évaluation du préjudice corporel de Madame X.
* Par conclusions signifiées par RPVA le 11 mars 2013, Monsieur B X et Madame E F épouse X demandent au Tribunal de juger l’association Aérostatique du Nord de la France responsable de leur entier préjudice sur le fondement de l’article 1147 du Code civil, subsidiairement sur le fondement de l’article L322-3 du Code de l’aviation civile, le règlement CE du 13 mai 2002, et le décret du 17 juin 2004 ainsi que les dispositions de la Convention de Montréal, encore plus subsidiairement, sur le fondement des dispositions de la Convention de Varsovie. Ils sollicitent la fixation du préjudice de Monsieur X à la somme de 286 946,56 euros avec réserves et la condamnation in solidum de l’association Aérostatique du Nord de la France et la Compagnie J K L ET SPECIALTY, à lui payer cette somme. Ils demandent également une expertise judiciaire aux fins d’évaluation du préjudice corporel de Madame X avec désignation d’un collège d’experts, outre la condamnation, de l’association Aérostatique du Nord de la France à verser à Madame X la somme de 50 000 euros à titre d’indemnité provisionnelle.
Ils demandent également que la décision soit rendue commune à la Caisse primaire d’assurance maladie de Lille. Ils sollicitent, en outre, la condamnation de l’association Aérostatique du Nord de la France à leur payer une somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, pouvant être recouvrés par la SELARL NAKACHE PEREZ.
A l’appui de leurs demandes, ils ont indiqué :
que le contrat, à titre gratuit, avait pour but une promenade en montgolfière exécutée par l’association, que cette dernière n’a pas respecté son obligation de ramener ses passagers sains et saufs,
que la Convention de Montréal s’applique et instaure un droit à indemnisation intégrale, l’association ne rapportant pas la preuve de l’absence de faute de Madame A,
qu’en application de la Convention de Varsovie, la preuve de la faute de Madame A est rapportée par les victimes, qu’en conséquence l’association est entièrement responsable, sans limite de plafond.
* Par conclusions signifiées par RPVA le 18 juin 2013, l’association Aérostatique du Nord de la France conteste le principe de la responsabilité. A titre subsidiaire, elle sollicite l’application de la limitation de responsabilité pouvant être mise à la charge du transporteur.
Au soutien de ses prétentions, elle a fait valoir :
— qu’il n’existe aucun contrat de transport au sens de l’article 1147 du Code civil entre les requérants et elle-même,
— que la Convention de Montréal ne saurait s’appliquer puisque strictement limitée aux entreprises de transport aérien international,
— qu’aucune faute ne peut être imputée au pilote de la montgolfière de nature à engager sa responsabilité en qualité de transporteur aérien à titre gratuit, selon la Convention de Varsovie,
— que les limites de la responsabilité du transporteur relatives à chaque passager sont fixées à l’article L6421-4 du Code des transports.
* Par conclusions signifiées par RPVA le 7 juin 2013, la Compagnie J K L ET SPECIALTY a demandé au Tribunal de rejeter les demandes formulées par Monsieur B X et Madame E F épouse X et par la Caisse primaire d’assurance maladie de LILLE et de les condamner aux dépens. Subsidiairement, l’association Aérostatique du Nord de la France a sollicité la limitation de l’indemnisation due à 114 336,76 euros par passager. Elle a proposé d’allouer la somme de 82 503,97 euros à Monsieur X, hors postes réservés, de réserver la créance de la CPAM s’agissant des frais de santé de Monsieur X, d’allouer une provision de 30 000 euros à Madame X et de faire droit à sa demande d’expertise, de réserver la créance de la CPAM s’agissant des frais de santé de Madame X.
A l’appui de ses prétentions, elle a exposé :
— que la responsabilité est régie par l’article L6421-4 du Code des transports et spécialement sa disposition relative au transport aérien gratuit prévoyant que la responsabilité du transporteur est engagée pour faute prouvée,
— que la pilote n’a commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de l’association en qualité de transporteur aérien à titre gratuit,
— que subsidiairement, la faute commise par la pilote ne saurait en tout état de cause être regardée comme une faute inexcusable, qu’en conséquence, l’indemnisation doit être limitée.
* Par conclusions signifiées par RPVA le 19 juin 2013, la Caisse primaire d’assurance maladie de LILLE demande à la présente juridiction de retenir la responsabilité exclusive de l’association Aérostatique du Nord de la France dans l’accident. Elle sollicite, en conséquence, la condamnation in solidum de l’association Aérostatique du Nord de la France et la Compagnie J K L ET SPECIALTY à lui verser les sommes suivantes, avec le bénéfice de l’exécution provisoire :
➢125738,94 euros et 81390,05 euros au titre des prestations versées au 1/06/2012, sous réserve des prestations non connues et pouvant être versées ultérieurement, avec intérêts au taux légal à compter du 27/09/2012 et anatocisme conformément à l’article 1154 du Code civil,
➢1015 euros au titre de l’indemnité forfaitaire,
➢1000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens, pouvant être recouvrés directement au profit de la SCP HOCQUARD ET ASSOCIES.
En application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, il sera expressément renvoyé aux conclusions des parties en date du 11 mars 2013, 7, 18 et 19 juin 2013 pour plus ample exposé des motifs.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 25 juin 2013.
Plaidée à l’audience du 10 octobre 2013, l’affaire a été mise en délibéré au 28 novembre 2013, date à laquelle la présente décision a été rendue.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les dispositions applicables
Aux termes de l’ancien article L310-1 du Code de l’aviation civile en vigueur lors du vol, le transport aérien consiste à acheminer par aéronef d’un point d’origine à un point de destination des passagers, des marchandises ou du courrier.
Aux termes de l’article 1 1) de la Convention du 28 mai 1999 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien internationale, dite de Montréal, la convention s’applique à tout transport international de personnes, bagages ou marchandises, effectué par aéronef contre rémunération. Elle s’applique également aux transports gratuits effectués par aéronef par une entreprise de transport aérien.
Aux termes de l’ancien article L322-3 du Code de l’aviation civile en vigueur lors du vol, la responsabilité du transporteur de personnes est régie par les dispositions de la Convention de Varsovie comme prévu aux articles L. 321-3, L. 321-4 et L. 321-5. Toutefois, la limite de la responsabilité du transporteur relative à chaque passager, prévue par le paragraphe premier de l’article 22 de ladite convention, est fixée à 114 336,76 euros. Si, en raison d’une modification apportée à la Convention de Varsovie, la limite de responsabilité du transporteur aérien se trouve portée à un niveau supérieur au chiffre susvisé, cette nouvelle limite se substitue à celle de 114 336,76 euros à compter de la mise en vigueur pour la France de la modification de ladite convention. En outre, sauf stipulations conventionnelles contraires, la responsabilité du transporteur effectuant un transport gratuit ne sera engagée, dans la limite prévue ci-dessus, que s’il est établi que le dommage a pour cause une faute imputable au transporteur ou à ses préposés.
La responsabilité du transporteur par air ne peut être recherchée que dans les conditions et limites prévues ci-dessus, quelles que soient les personnes qui la mettent en cause et quel que soit le titre auquel elles prétendent agir.
En l’espèce, Monsieur B X et Madame E F épouse X ont effectué un vol de baptême en montgolfière avec l’association aérostatique du nord de la France, association ayant pour but, selon l’article 1 de ses statuts de « pratiquer et de faire connaître le ballon libre à gaz et à air chaud ».
La notion d’aéronef comprend les montgolfières.
Une somme de 180 euros a été réglée pour Madame X et Monsieur X est monté dans la montgolfière sans participation financière, prenant la place d’un candidat qui s’est désisté. Il n’a pas été produit de billets aux débats.
Cette somme de 180 euros est présentée par l’association comme une participation aux frais. Au vu des pièces du dossier, notamment de l’attestation du dirigeant de la société LES BALLONS MIGRATEURS, et de la gérante de la SARL AIRCOM-AERO, l’association Aérostatique du Nord de la France réalise les vols dans un but non lucratif, sans avoir d’activité commerciale, ni faire de publicité, la participation aux charges réclamée étant inférieure au prix du marché habituel pour un vol en montgolfière organisé par une structure à but lucratif.
Il s’ensuit que le contrat entre Monsieur B X et Madame E F épouse X et l’association Aérostatique du Nord de la France s’analyse en un contrat de transport aérien dans le cadre d’un vol gratuit proposé par une association.
L’accord sur le partage des frais est insuffisant pour établir entre les parties un lien de nature à engendrer une responsabilité contractuelle liée à une obligation de sécurité à la charge du conducteur à l’égard de ses passagers, les dispositions de l’article 1147 du Code civil sont donc inapplicables.
La convention de Montréal est également inapplicable, puisqu’il ne s’agit pas d’un vol international mais d’un vol interne en France .
S’agissant d’un transport intérieur, la Convention de Varsovie doit donc s’appliquer en l’espèce par renvoi des dispositions de l’ancien article L322-3 du Code de l’aviation civile à ladite Convention.
Sur les moyens relevés d’office de l’application de l’article 3 alinéa 2 et de l’article 17 de la Convention de Varsovie
En application de l’article 16 du Code de procédure civile, le juge a l’obligation de relever d’office un moyen de pur droit, et doit inviter les parties à présenter leurs observations sur ce moyen.
L’article 3 alinéa 2 de la Convention de Varsovie prévoit que si le transporteur accepte le voyageur sans qu’il ait été délivré de billet de passage, il n’aura pas le droit de se prévaloir des dispositions de cette Convention qui excluent ou limitent sa responsabilité.
L’article 17 de la Convention de Varsovie dispose que le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de mort, de blessure ou de toute autre lésion corporelle subie par un voyageur lorsque l’accident qui a causé le dommage s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement et de débarquement.
En l’espèce, la question de savoir si la clause de limitation de responsabilité prévue à la Convention de Varsovie s’applique à l’espèce et si le régime de responsabilité est une responsabilité de plein droit, n’ont pas été mises dans les débats par les parties, alors que les enjeux en terme de réparation du préjudice corporel des demandeurs sont significatifs.
En conséquence, il y a lieu de sursoir à statuer sur les autres demandes.
Les parties seront invitées à produire leurs observations sur l’application combinée de l’article 3 alinéa 2 de la Convention de Varsovie et de l’ancien article L322-3 du Code de l’aviation civile, la question étant de savoir si les dispositions de l’article 3 alinéa 2 de la Convention sont ou non applicables en l’espèce, alors qu’aux termes de l’article L322-3 du Code de l’aviation civile, la responsabilité du transporteur de personnes, sans distinction que celui-ci soit ou non une entreprise de transport aérien est régie par les dispositions de la Convention de Varsovie.
Les parties sont également invitées à produire leurs observations sur l’application du régime de responsabilité prévu à la Convention de Varsovie en son article 17 en l’espèce, et de répondre à la question de savoir si le régime de responsabilité consiste en une responsabilité de plein droit du transporteur.
Sur les autres demandes
Les dépens seront réservés.
Au vu de la nature de l’affaire, il n’y a pas lieu à exécution provisoire.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, par jugement mixte et contradictoire
DIT que la Convention de Varsovie est applicable aux demandes en responsabilité formées par les époux X.
SURSEOIT à statuer sur l’ensemble des autres demandes.
ORDONNE la réouverture des débats et invite les parties à formuler des observations sur les moyens de droit soulevés d’office :
1) sur l’application combinée de l’article 3 alinéa 2 de la Convention de Varsovie et de l’ancien article L322-3 du Code de l’aviation civile, la question étant de savoir si les dispositions de l’article 3 alinéa 2 de la Convention sont ou non applicables en l’espèce, alors qu’aux termes de l’article L322-3 du Code de l’aviation civile, la responsabilité du transporteur de personnes, sans distinction que celui-ci soit ou non une entreprise de transport aérien est régie par les dispositions de la Convention de Varsovie.
2) sur l’application du régime de responsabilité prévu à la Convention de Varsovie en son article 17 en l’espèce, et de répondre à la question de savoir si le régime de responsabilité consiste en une responsabilité de plein droit du transporteur.
RENVOIE l’affaire à l’audience de plaidoirie du 6 février 2014 à 13 heures 30 ;
DIT n’y avoir lieu à exécution provisoire ;
RESERVE les dépens ;
DECLARE le présent jugement commun à la CPAM de LILLE ;
Prononcé par remise au greffe le 28 novembre 2013.