Droit Aerien

INAD/Jurisprudence INAD/Obligation des compagnies aériennes de contrôler les documents de voyage des passagers

Une compagnie aérienne est tenue de repérer les documents falsifiés dont la fraude est décelable à l’oeil nu par un examen normalement attentif CAA Paris, 29 janvier 2013, n°11PA04971

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Si une compagnie aérienne ne peut être tenue responsable de n'avoir pas relevé des documents frauduleux mais qui ne l'apparaissent que grâce à du matériel spécialisé, elle doit cependant repérer les documents de voyages falsifiés lorsque la fraude est décelable à l'oeil nu par un examen normalement attentif. En l'espèce, ce caractère manifeste provenait des dissemblances physiques entre le fraudeur et la photo du passeport qu'il avait présenté.

Cour administrative d’appel de Paris, 4ème chambre, 29 janvier 2013, 11PA04971, inédit au recueil Lebon ;

 

Vu la requête, enregistrée le 2 décembre 2011, présentée pour la compagnie […], représentée par son président directeur général en exercice, par le cabinet d’avocat E… ; la compagnie X… demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1017122/3-3 en date du 4 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 23 juillet 2010 par laquelle le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire lui a infligé une amende de 5 000 euros ;

2°) d’annuler la décision du 23 juillet 2010 susmentionnée ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 2 500 euros, augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

[…]

1. Considérant que, par une décision du 23 juillet 2010, le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire a infligé à la compagnie X… une amende de 5 000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article L. 625-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, au motif que la compagnie aérienne avait débarqué le 13 décembre 2009 à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle Mlle X se disant Mlle Merveille Zola Madimba, de nationalité indéterminée, en provenance de Kinshasa et démuni de document de voyage, et qu’elle avait ainsi manqué à ses obligations de contrôle ; que, par la présente requête, la compagnie X… fait appel du jugement en date du 4 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision du 23 juillet 2010 ;

Sur les conclusions aux fins d’annulation :

2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 6421-2 du code des transports : « Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu’après justification qu’ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d’arrivée et aux escales prévues » ; qu’aux termes L. 625-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Est punie d’une amende d’un montant maximum de 5 000 euros l’entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d’un autre Etat, un étranger non ressortissant d’un Etat de l’Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l’accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité / Est punie de la même amende l’entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque, dans le cadre du transit, un étranger non ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne et démuni du document de voyage ou du visa requis par la loi ou l’accord international qui lui est applicable compte tenu de sa nationalité et de sa destination » ; qu’aux termes de l’article L. 625-2 du même code : « Le manquement est constaté par un procès-verbal établi par un fonctionnaire appartenant à l’un des corps dont la liste est définie par décret en Conseil d’Etat. Copie du procès-verbal est remise à l’entreprise de transport intéressée. Le manquement ainsi relevé donne lieu à une amende prononcée par l’autorité administrative compétente. L’amende peut être prononcée autant de fois qu’il y a de passagers concernés. Son montant est versé au Trésor public par l’entreprise de transport. / L’entreprise de transport a accès au dossier et est mise à même de présenter ses observations écrites dans un délai d’un mois sur le projet de sanction de l’administration. La décision de l’autorité administrative, qui est motivée, est susceptible d’un recours de pleine juridiction. / L’autorité administrative ne peut infliger d’amende à raison de faits remontant à plus d’un an » ; qu’aux termes de l’article L. 625-5 du même code : « Les amendes prévues aux articles L 625-1, L. 625-3 et L. 625-4 ne sont pas infligées (…) lorsque l’entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l’embarquement et qu’ils ne comportaient pas d’élément d’irrégularité manifeste » ;

3. Considérant qu’il résulte tant de ces dispositions, adoptées en vue de donner leur plein effet aux stipulations de l’article 26 de la convention de Schengen, signée le 19 juin 1990, que de l’interprétation qu’en a donné le Conseil constitutionnel dans sa décision susvisée du 25 février 1992, qu’elles font obligation aux transporteurs aériens de s’assurer, au moment des formalités d’embarquement, que les voyageurs ressortissants d’Etats non membres de l’Union européenne sont en possession de documents de voyage, le cas échéant, revêtus des visas exigés par les textes, leur appartenant, non falsifiés et valides ; que si ces dispositions n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police aux lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l’étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas des éléments d’irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l’entreprise de transport ; qu’en l’absence d’une telle vérification, le transporteur encourt l’amende administrative prévue par l’article L. 625-1 ;

4. Considérant qu’en l’espèce, un brigadier de police en fonction à la direction de la police de l’air et des frontières de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle a appréhendé, le 13 décembre 2009, Mlle X se disant Mlle Merveille Zola Madimba, débarquée par la compagnie X… d’un vol arrivé le même jour en provenance de Kinshasa, munie d’un passeport délivré au nom de Mlle Zola Madimba née le 6 juin 1988 à Kinshasa et d’un visa « Etats Schengen » délivré au même nom ; qu’il résulte de l’instruction, et en particulier du compte rendu de l’examen médical du 14 décembre 2009, au cours duquel l’intéressée a admis s’appeler Merveille Bikakudi et être née le 8 septembre 1993, que le passeport a été usurpé, de sorte que l’intéressée était effectivement démunie de document de voyage ; que si la compagnie X… fait valoir que les dissemblances physiologiques existant entre la photo figurant sur le passeport et la personne qui s’est présentée lors de l’embarquement ne pouvaient pas être vérifiées sans procéder à un examen particulier qui ne pouvait pas être réalisé sans recourir à du matériel spécialisé, il résulte toutefois de l’instruction, et en particulier de la seule comparaison des deux photographies en couleur produites par le ministre, que les dissemblances physiques entre la personne débarquée à Roissy-Charles de Gaulle et la photographie du document d’identité présenté étaient bien décelables à l’oeil nu par un examen normalement attentif d’un agent d’embarquement, de sorte que le passeport présenté comportait bien un élément d’irrégularité manifeste ; que, dans ces conditions, la compagnie X… a manqué aux obligations qui lui incombent en application de l’article L. 625-1 précité ;

5. Considérant, en second lieu, que si le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire a infligé à la compagnie X… l’amende maximale prévue par l’article L. 625-1, il ne résulte pas de l’instruction, et en particulier des termes mêmes de la décision contestée, que le ministre se serait cru en situation de compétence liée pour prononcer l’amende contestée au taux maximal ; que la circonstance que le ministre aurait par ailleurs infligé d’autres amendes à la compagnie X… à ce même taux n’est pas davantage de nature, à elle-seule, à établir que le ministre aurait méconnu l’étendue de sa compétence sur ce point ; que, dès lors, la décision contestée n’a en tout état de cause pas méconnu les principes constitutionnels d’individualisation, de proportionnalité et de non-automaticité des peines ;

6. Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la compagnie X… n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 23 juillet 2010 contestée ; que ses conclusions aux fins d’annulation doivent par suite être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement d’une quelconque somme au bénéfice de la compagnie X… au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la compagnie X… est rejetée.

 

Observations :

 

  • Dans le même sens, l’arrêt CAA de Paris n°11PA04974 du 26 février 2013 a refusé d’annuler une sanction administrative infligée à une compagnie dans la mesure où les altérations du passeport falsifié étaient décelables à l’oeil nu.
  • Dans le même sens, l’arrêt CAA de Paris n°11PA04975 du 26 février 2013 a refusé d’annuler une sanction administrative infligée à une compagnie dans la mesure où les altérations du passeport falsifié étaient décelables à l’oeil nu, sans recourir à du matériel spécialisé, par un examen normalement attentif d’un agent d’embarquement.
  • Dans le même sens, l’arrêt CAA de Paris n°11PA04972 du 26 février 2013 a annulé une sanction administrative infligée à une compagnie dans la mesure où les altérations du document falsifié n’étaient « pas susceptibles d’être décelés, sans avoir recours à du matériel spécialisé, par un examen normalement attentif d’un agent d’embarquement. »
  • Dans le même sens, l’arrêt CAA de Paris n°11PA05013 du 21 mai 2013 a refusé d’annuler une sanction administrative infligée à une compagnie dans la mesure où les altérations du visa falsifié « étaient décelables à l’oeil nu, sans recourir à du matériel spécialisé, par un examen normalement attentif d’un agent d’embarquement, de sorte que le visa présenté comportait bien des éléments d’irrégularité manifeste. »
  • Dans le même sens, l’arrêt CAA de Paris n°12PA04952 du 31 décembre 2013 a annulé une sanction administrative infligée à une compagnie dans la mesure où les altérations du passeport falsifié étaient très peu visibles et ne pouvaient constituer des « irrégularités décelables par un examen normalement attentif d’un agent d’embarquement. »
  • Dans le même sens, les arrêts CAA de Paris n°13PA00215 et n°13PA00625 du 6 mai 2014 a annulé une sanction administrative infligée à une compagnie dans la mesure où les altérations du titre de séjour falsifié ne constituaient pas des irrégularités décelables par un examen normalement attentif.
  • Dans le même sens, l’arrêt CAA de Paris n°15PA03834 du 4 octobre 2016 a annulé une sanction administrative infligée à une compagnie dans la mesure où les altérations du visa contrefait n’étaient pas détectable « sans recours à du matériel spécialisé et, par suite, ne constituait pas une irrégularité manifeste décelable par un examen normalement attentif d’un agent d’embarquement; »
  • Dans le même sens, les arrêts CAA de Paris n°17PA02401 et n°17PA02424 du 6 février 2018 a annulé une sanction administrative infligée à une compagnie dans la mesure où les altérations du passeport falsifié n’étant pas détectables sans recours à du matériel spécialisé, elles étaient très peu visibles et ne pouvaient être tenues comme constituant une irrégularité décelable par un examen normalement attentif d’un agent d’embarquement.