COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 5
ARRÊT DU 2 DECEMBRE 2021
(n° 2021/ , 7 pages)
APPELANTE
S.A. AEROPORTS DE PARIS (ADP) […]
INTIMEE
SOCIÉTÉ EASYJET AIRLINE COMPANY LIMITED […]
FAITS ET PROCÉDURE
La société EasyJet Airline Compagny Limited (ci-après « easyJet ») est une société située au Royaume-Uni qui exerce une activité de transport aérien de personnes et se positionne sur le créneau du « low cost ». Elle exploite un service de transport aérien de passagers à destination et en partance, notamment, des aéroports de Paris-Charles-de-Gaulle et de Paris– Orly.
En vertu de l’article L.6323-3 du même code, la société ADP exerce, dans ce cadre, des missions de service public aéroportuaire à destination des compagnies aériennes, lesquelles sont ainsi regardées comme des usagers du service public aéroportuaire.
En contrepartie des services publics aéroportuaires rendus aux compagnies aériennes utilisant ses aéroports, la société ADP perçoit, en application de l’article R.224-2 du code de l’aviation civile, 11 redevances aéroportuaires pour service rendu :
3 redevances principales : la redevance d’atterrissage ; la redevance de stationnement ; la redevance par passager.
8 redevances accessoires : la redevance pour mise à disposition des banques d’embarquement et le traitement des bagages locaux ; la redevance pour mise à disposition des installations de traitement des bagages en correspondance ; la redevance pour mise à disposition des installations Wxes de fourniture d’énergie électrique pour les aéronefs (400Hz et SOHZ) ; la redevance pour mise à disposition des installations de dégivrage des avions ; la redevance pour les services d’eau et de vidange des avions ; la redevance de titre de circulation aéroportuaire (badge) ; la redevance d’assistance aux personnes handicapées et à mobilité réduite la redevance informatique d’enregistrement et d’embarquement (redevance CREWS), objet du présent litige.
Depuis son instauration dans le cadre du CRE en 2011, la redevance CREWS a subi l’évolution suivante (en euros par passager hors correspondance) :
– 2011 0,355
– 2012 0,367
– 2013 0,378
– 2014 0,389
– 2015 0,398
– 2016 0,398
– 2017 0,135
– 2018 0,137
Par décision n°1606-D2 du 20 février 2017 relative à la demande d’homologation des tarifs d’Aéroports de Paris pour la période tarifaire 2017, l’Autorité de Supervision Indépendante des redevances aéroportuaires (« ASI ») a homologué cette proposition.
En 2017, la redevance CREWS a ainsi été diminuée de plus de 65% en comparaison avec son niveau pour 2016.
Le 24 décembre 2018, la société easyJet a notifié à la société ADP une réclamation préalable tendant au reversement des sommes perçues par cette dernière au titre de la redevance CREWS sur la période 2011- 2016.
Le 21 mai 2019, la société ADP a indiqué à la société easyJet qu’elle n’entendait pas répondre à ladite réclamation préalable.
Par acte d’huissier de justice en date du 12 juillet 2019, la société easyJet a assigné la société ADP devant le tribunal de commerce de Bobigny aux fins d’obtenir le paiement de la somme de 4.637.355 euros au motif qu’elle aurait été indûment prélevée sur la période 2011-2016, au titre de la redevance aéroportuaire CREWS.
MOTIFS :
La société ADP estime que la nature industrielle et commerciale dudit service rendu n’autorise pas le juge de l’ordre judiciaire à se prononcer sur la légalité de décisions administratives. La société ADP fait valoir que le contentieux relatif aux actes réglementaires, même lorsqu’ils émanent d’une personne privée, relève de la seule compétence du juge administratif, que le juge judiciaire n’est pas compétent car la demande en répétition se rattache directement à des décisions administratives à caractère réglementaire en lien avec les missions de service public aéroportuaire dont la société ADP a la charge. La société ADP soutient, sur le fondement de l’article 49 alinéa 2 du code de procédure civile, que pour apprécier le bien-fondé des demandes d’easyJet, le juge judiciaire doit se prononcer sur la légalité des décisions tarifaires d’ADP relatives à la redevance CREWS (entrées en vigueur une fois homologuées par l’autorité administrative) qui constituent des décisions administratives.
La société easyJet réplique, que le juge judiciaire est compétent pour statuer sur les demandes des usagers d’un SPIC portant sur le montant d’une redevance ou son remboursement, que le présent litige est de la compétence exclusive du juge judiciaire dans la mesure où la redevance CREWS se rapporte à l’activité de transport et relève donc d’un SPIC dont easyJet est l’usager. La société easyJet ajoute que ses demandes sont formulées sur deux principes classiques à savoir, le principe de correspondance entre la redevance et le service rendu ainsi que le principe d’égalité et de non-discrimination issu de la jurisprudence administrative et du droit de l’Union européenne, de sorte que la jurisprudence est établie, que la fixation du tarif de la redevance CREWS est une décision purement privée dont l’appréciation de la légalité relève du juge judiciaire, et ne soulève pas de difficulté sérieuse, que l’acte de droit privé fixant le tarif de la redevance et la décision d’homologation sont des actes juridiques distincts dont la légalité est appréciée de manière autonome.
L’article 49 alinéa 2 du code de procédure civile énonce que « toute juridiction saisie d’une demande de sa compétence connaît, même s’ils exigent l’interprétation d’un contrat, de tous les moyens de défense à l’exception de ceux qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d’une autre juridiction. Lorsque la solution d’un litige dépend d’une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative. Elle sursoit à statuer jusqu’à la décision sur la question préjudicielle ».
Le juge ne peut poser une question préjudicielle au juge compétent de l’autre ordre que pour autant que deux conditions soient remplies : D’une part, la solution du litige dont est saisi le juge doit dépendre «d’une décision pouvant seulement être rendue par une juridiction de l’autre ordre », D’autre part, la question doit soulever une difficulté sérieuse.
La cour,
INFIRME le jugement en ce qu’il a rejeté la question préjudicielle et en ce qu’il s’est déclaré compétent pour statuer sur la légalité du tarif de la redevance aéroportuaire CREWS,
Statuant à nouveau,
DIT que la solution du litige dépend de la légalité du tarif de la redevance CREWS pour les périodes 2011-2016,
TRANSMET au Conseil d’État la question préjudicielle de la légalité du tarif de la redevance aéroportuaire CREWS pour les périodes tarifaires 2011-2016,
DIT que le greffe de la cour d’appel notifiera l’arrêt au Conseil d’État,
RENVOIE l’affaire devant le tribunal de commerce de Bobigny,
CONDAMNE la société easyJet à payer à la société Aéroports de Paris la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d’appel.
CONDAMNE la société easyJet aux dépens de la procédure d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE