Droit Aerien

Aéroports/Responsabilité/Infrastructure aéroportuaire

Défectuosité que tout usager de la voie publique peut s’attendre à rencontrer nullement caractéristique d’un défaut d’entretien normal – CAA de PARIS, 21 mars 2022, n° 21PA00323

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La chute de la victime révèle seulement la présence d'une défectuosité affectant l'ouvrage public mais qui est au nombre de celles que tout usager de la voie publique peut s'attendre à rencontrer et n'est nullement caractéristique d'un défaut d'entretien normal.

 

[…]

Considérant ce qui suit :

1. Le 17 août 2019 aux alentours de 22h30, Mme B… C… s’est rendue à l’aéroport de Tahiti-Faa’a pour accompagner un membre de sa famille qui allait prendre l’avion. Après avoir stationné son véhicule sur le parking « express » de l’aéroport, elle a emprunté le passage piétons situé en face du « fare hei » et qui relie le parking à l’aérogare et a chuté. Elle a alors saisi le 11 octobre 2019 la société Aéroport de Tahiti d’une demande d’indemnisation préalable reçue le 17 octobre 2019 et rejetée le 20 décembre 2019. Mme C… relève appel du jugement n° 2000104 du 24 novembre 2020 du Tribunal administratif de la Polynésie Française rejetant sa demande tendant à la condamnation de la société Aéroport de Tahiti à lui verser la somme de 15 789 354 F CFP en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait du défaut d’entretien de l’ouvrage public constitué par le parking de l’aéroport et à ce que la Cour condamne ladite société à lui verser la somme de 15 263 703 F CFP en réparation des conséquences dommageables de sa chute.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des termes du jugement attaqué que les premiers juges ont rejeté la demande indemnitaire de Mme C… au motif que la société Aéroport de Tahiti apporte la preuve, qui lui incombe, de l’entretien normal de l’ouvrage public. Ainsi, les premiers juges, qui n’étaient pas tenus de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la société Aéroport de Tahiti tirée de la tardiveté de la requête, ont pu, conformément au principe de l’économie de moyens, rejeter au fond la requête de Mme C… et se borner à indiquer, sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions indemnitaires qu’elle a formulées. Par suite, la société Aéroport de Tahiti n’est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient entaché d’irrégularité leur jugement en omettant de répondre à la fin de non-recevoir qu’elle a opposée tirée de la tardiveté de la requête de Mme C….

Sur l’engagement de la responsabilité de la société Aéroport de Tahiti :

Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

3. Mme C… soutient que son accident est survenu aux alentours de 22h30 le

17 août 2019 alors qu’elle s’est rendue à l’aéroport de Tahiti-Faa’a pour accompagner un membre de sa famille qui allait prendre l’avion et qu’elle a chuté sur le passage piétons en face du « fare hei » qui relie le parking à l’aérogare. Ayant la qualité d’usager de la voie publique, le régime de responsabilité applicable est celui de la présomption de faute pour défaut d’entretien normal de l’ouvrage public constitué ici par la voie publique de l’aéroport de Tahiti. Sous réserve que la matérialité des faits soit établie, la société Aéroport de Tahiti ne peut s’exonérer de sa responsabilité qu’en prouvant soit l’entretien normal, soit la faute de la victime ou la force majeure. L’entretien normal de l’ouvrage est celui qui doit être envisagé pour assurer au public un usage conforme à la destination de cet ouvrage. Mme C… soutient que sa chute est due à la fois au mauvais éclairage du passage piétons et à la présence d’un trou situé en plein milieu de la chaussée qui n’est pas signalé.

4. D’une part, il résulte de l’instruction que pour établir ce défaut d’éclairage, si les attestations postérieures rédigées en février 2020 par ses proches, à savoir son époux et son beau-frère, mentionnent bien ce défaut d’éclairage ce soir-là au moment de la chute, cette indication ne figure, en revanche, pas sur les attestations rédigées à la même période par deux personnes qui déclarent avoir été témoins de la chute de la requérante, à savoir M. D… et Mme A… qui travaille sous le « fare hei ». Cette preuve n’est, d’ailleurs, pas davantage apportée par les photographies produites par Mme C… faisant apparaitre un long passage piétons et un toit pointu dans la pénombre qui non seulement ne sont pas datées mais correspondent à des endroits différents de celui de la chute ainsi que le démontre la confrontation des différentes photographies produites par la requérante. En outre, comme l’indique la société Aéroport de Tahiti dans ses écritures le projecteur ne fonctionnant pas est celui du couloir de taxi qui se trouve bien en amont du passage piétons litigieux situé devant le « fare hei » ce qui ressort du plan d’implantation des lampadaires produit en défense, alors que les photographies du trou incriminé attestent qu’il se situe, quant à lui, devant le « fare hei ». Par ailleurs, la circonstance qu’un projecteur soit installé au niveau du toit, où se trouvent accrochés à l’intérieur les panneaux « caisse » et « terminal international », situé au niveau de l’autre passage piétons n’est pas davantage de nature à établir l’insuffisance d’éclairage du lieu de la chute alors que, la société Aéroport de Tahiti établit, quant à elle, la présence de deux lampadaires avec des mats de 12 mètres de haut, numérotés 43 et 58 sur le plan d’implantation précité, qui se trouvent de part et d’autre du passage piétons situé devant le « fare hei ». Au surplus, la circonstance invoquée par la requérante que depuis le début de la procédure qu’elle a engagée, le passage piétons soit, de nouveau, éclairé n’est pas davantage de nature à établir que le jour de sa chute l’éclairage était insuffisant. Il résulte de tout ce qui précède que le mauvais éclairage du passage piétons où s’est déroulée la chute de Mme C… n’étant pas établi, aucun défaut d’entretien normal de l’ouvrage public ne peut donc être opposé à la société Aéroport de Tahiti pour ce motif.

5. D’autre part, s’agissant de la présence d’un trou représentant, selon la requérante, un dénivelé de plus de 9 cm situé en plein milieu de la chaussée qui n’aurait pas été signalé, il résulte de l’instruction qu’à l’endroit du passage piétons où a eu lieu la chute de Mme C… se trouve une rigole d’évacuation des eaux pluviales qui comporte donc un dénivelé, d’un peu moins de

10 centimètres, permettant d’éviter que l’eau ne stagne sur la chaussée et de faire face aux très fortes pluies qui s’abattent sur Tahiti. En se bornant à soutenir que la pertinence de l’implantation de cette rigole sur un passage très fréquenté par les piétons n’est pas évidente et qu’il semblerait que cet ouvrage ne soit pas adapté aux fortes pluies et qu’il soit mal entretenu, Mme C… n’établit pas que la présence même de cette rigole serait d’une dangerosité telle qu’elle caractériserait un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public. Par ailleurs, si la société Aéroport de Tahiti reconnaît qu’il existe effectivement sur la chaussée des déformations et que si elles rendent la zone irrégulière par endroit, elle fait valoir qu’elles ne sont pas profondes et ne constituent pas un trou. Pour établir la présence du trou incriminé qui aurait causé sa chute et donc de son caractère anormal et dangereux, Mme C… produit les mêmes attestations précitées de ses proches à savoir celles de son époux et de son beau-frère ainsi que celles de M. D… qui indique avoir lui-même trébuché à cet endroit, de Mme A… qui mentionne simplement avoir été témoin de la chute sans précision particulière et enfin celle de sa sœur qui indique être tombée au même endroit 4 ans auparavant. De plus, si les photographies produites par Mme C… montrent la présence d’un affaissement de cette rigole située au niveau du passage piétons litigieux, à supposer même que la chute ait eu lieu à cet endroit précis, elles ne permettent d’établir ni l’anormalité ni la dangerosité du trou incriminé alors que, par ailleurs, la société Aéroport de Tahiti produit, quant à elle, des photographies démontrant que le trou ou l’affaissement dans la rigole pluviale n’est en fait que de maximum 3 à 4 centimètres et non pas de plus de 9 cm comme le soutient la requérante. Au surplus, la circonstance que la société Aéroport de Tahiti ait lancé, postérieurement à l’engagement de la procédure initiée par la requérante, un appel d’offres dont l’objet est la réfection de la chaussée n’est pas davantage de nature à établir l’existence d’un défaut d’entretien normal du passage piétons litigieux alors qu’il ressort des pièces du dossier que cet avis d’appel public à la concurrence concerne non pas la zone piétonne de l’aéroport mais les chaussées aéronautiques. Il résulte de tout ce qui précède qu’eu égard à sa faible importance, la présence du trou incriminé qui n’avait donc pas à être signalé, à supposer même que la chute de Mme C… ait eu lieu précisément à cet endroit, révèle seulement la présence d’une défectuosité affectant l’ouvrage public mais qui est au nombre de celles que tout usager de la voie publique peut s’attendre à rencontrer et n’est nullement caractéristique d’un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public. La responsabilité de la société Aéroport de Tahiti ne peut donc pas davantage être engagée pour ce motif.

6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C… n’est pas fondée à demander l’annulation du jugement n°2000104 du 24 novembre 2020 du Tribunal administratif de la Polynésie Française. L’ensemble des conclusions de la requête d’appel de Mme C… ne peut donc qu’être rejeté.

Sur les frais liés à l’instance :

7. Dans les circonstances de l’espèce, les conclusions de la société Aéroport de Tahiti tendant à la condamnation de Mme C… au versement d’une somme au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C… est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Aéroport de Tahiti, présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B… C… et à la société Aéroport de Tahiti.

Copie en sera adressée à la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie.

Délibéré après l’audience du 7 mars 2022, à laquelle siégeaient :

– M. Ho Si Fat, président de la formation de jugement,

– Mme Collet, première conseillère,

– Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2022.