Droit Aerien

Aéroports/PHMR/Jurisprudence PHMR

Obligation de résultat du gestionnaire aéroportuaire en matière d’assistance aux PHMR – Cour d’appel de Paris, 15 juin 2020, n° 18/04916

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Le règlement CE n° 1107/2006 du 5 juillet 2006 impose au gestionnaire aéroportuaire une obligation de résultat de transporter les PHMR d'un point à l'autre de l'aéroport en toute sécurité. La responsabilité délictuelle du gestionnaire aéroportuaire à l'égard de la PHMR est engagée en cas de manquement à cette obligation. En outre, le gestionnaire aéroportuaire reste responsable de l'exécution de cette assistance à l'égard des PHMR même s'il a conclu un marché de fourniture de l'assistance aux PHMR avec une autre société.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 10 novembre 2010, M. A X, né le […] et alors âgé de 78 ans, a été victime d’un accident corporel sur la passerelle d’embarquement d’un vol de la société Air France à destination de Saint Martin (Antilles néerlandaises), alors qu’il était en transit à l’aéroport de Paris Charles de Gaulle en provenance de Rome et qu’il avait été pris en charge par le service d’assistance à personnes à mobilité réduite.

Le préposé de la société Passerelle CDG a perdu le contrôle du fauteuil roulant de M. X, de sorte que ce dernier a été violemment projeté hors de celui-ci et a été blessé.

Par ordonnances de référé des 18 juin et 2 octobre 2012, le docteur Y a été désigné en qualité d’expert pour examiner M. X. L’expert a clos son rapport le 18 octobre 2013.

Par jugement du 8 janvier 2018 (instance n° 14/14274), le tribunal de grande instance de Paris a :

• déclaré la société Air France, la société Aéroports de Paris et la société Passerelle CDG in solidum entièrement responsables des conséquences dommageables de l’accident survenu à M. A X le 10 novembre 2010,

• fixé le préjudice corporel de M. X à 313 454,55 € pour les préjudices patrimoniaux et 20 900 € pour les préjudices extrapatrimoniaux,

• condamné in solidum la société Air France, la société Aéroports de Paris et la société Passerelle CDG à payer à M. X la somme totale de 334 354,55 € en réparation de l’ensemble de ses préjudices, en deniers ou quittances,

• dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,

• ordonné la capitalisation des intérêts échus dans les conditions de l’article 1154 ancien du code civil à compter du 6 août 2014,

• condamné in solidum la société Aéroports de Paris et la société Passerelle CDG à relever et garantir la société Air France de l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre,

• condamné la société Passerelle CDG à relever et garantir la société Aéroports de Paris de l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre,

• condamné la société Passerelle CDG à payer à M. X la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à verser aux sociétés Air France et Aéroports de Paris chacune la somme de 1 000 € au même titre,

• condamné la société Passerelle CDG aux dépens comprenant les frais d’expertise,

• accordé à Maître C D le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile en ce qui concerne le recouvrement des dépens,

• rejeté toute autre demande.

La société Passerelle CDG a interjeté appel par déclaration du 6 mars 2018 et M. A X par déclaration du 12 juin 2018.

Les deux instances ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état du 1er juillet 2019.

Selon dernières conclusions notifiées le 26 avril 2019, la SAS Passerelle CDG, premier appelant principal, demande à la cour de :

• dire et juger que l’évaluation du poste de préjudice assistance tierce personne, telle que retenue par la juridiction de première instance, est manifestement surévaluée en ce qu’elle a retenue l’assistance de deux personnes,

• en conséquence, infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a alloué une indemnisation à hauteur de 302 012,67 € à M. X au titre du poste de préjudice assistance tierce personne,

• statuant à nouveau, rapporter l’indemnisation au titre de l’assistance tierce personne à de plus justes proportions, en retenant l’assistance d’une seule tierce personne, soit à la somme de 136 477,56 €,

• confirmer le jugement entrepris en toutes autres dispositions,

en tout état de cause :

• débouter M. X de son appel principal,

• débouter M. X de son appel incident,

• débouter la société Aéroports de Paris de son appel incident,

• débouter la société Air France de l’ensemble de ses demandes en toutes fins qu’elles comportent,

• condamner M. X ou toute partie succombante, et en particulier M. X à lui verser la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance.

Selon conclusions notifiées le 5 novembre 2018, M. A X, second appelant principal, demande à la cour de :

• débouter intégralement les sociétés Passerelle CDG et Aéroports de Paris de leurs demandes de réformation de la décision entreprise,

• réformer partiellement la décision entreprise,

• condamner solidairement les sociétés Passerelle CDG et Aéroports de Paris à verser à M. X les sommes de :

> 67 840 € au titre de l’assistance tierce personne avant consolidation,

> 98 880 € au titre de l’assistance tierce personne à compter de la consolidation jusqu’au 16 juin 2014,

> 206 955,84 € en capital au titre de l’assistance tierce personne future,

> 10 000 € au titre des souffrances physiques et morales subies,

> 5 000 € au titre du préjudice esthétique temporaire,

>24 000 € au titre du déficit fonctionnel permanent,

> 5 000 € au titre du déficit esthétique permanent,

> 20 000 € sur le fondement de l’article 700, ainsi qu’aux entiers dépens d’appel et de première instance, dont distraction dans les termes et conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Selon dernières conclusions notifiées le 4 février 2019, la SA Aéroports de Paris, appelant incident, demande à la cour de :

• infirmer le jugement entrepris en ce qu’il est entré en voie de condamnation contre la société Aéroports de Paris,

• infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé l’indemnité en réparation du poste de préjudice lié au besoin d’une assistance en tierce personne à la somme totale de 302 012,67 €,

statuant à nouveau :

• mettre hors de cause la société Aéroports de Paris,

• débouter M. X de son appel et de ses demandes contre la société Aéroports de Paris,

• ramener les indemnités allouées à M. X à de plus justes proportions sans pouvoir dépasser celles proposées par la société Passerelle CDG aux termes de ses conclusions d’appelant,

• condamner le cas échéant la société Passerelle CDG à relever indemne la société Aéroports de Paris de toutes condamnations complémentaires qui seraient par impossible prononcées,

• condamner la société Passerelle CDG et/ou toutes autres parties succombantes à payer à la société Aéroports de Paris une somme de 5 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

• condamner la société Passerelle CDG et/ou toutes autres parties succombantes autres que la société Aéroports de Paris aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Maître Edmond Fromantin, avocat aux offres de droit, dans les termes et conditions de l’article 699 du même code.

Selon conclusions notifiées le 5 septembre 2018, la SA Air France demande à la cour de :

• constater que le jugement est définitif en ce qu’il a condamné in solidum la société Aéroports de Paris et la société Passerelle CDG à la relever et garantir de l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre,

y ajoutant,

• condamner la société Passerelle CDG à lui payer la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code procédure civile au titre de la procédure d’appel,

• condamner la société Passerelle CDG aux entiers dépens et autoriser Maître Z à les recouvrer conformément à l’article 699 du même code.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 25 novembre 2019.

MOTIFS DE L’ARRÊT

1 – sur la responsabilité de l’accident

La société Air France ne conteste pas le jugement en ce qu’il a considéré que sa responsabilité de plein droit en qualité de transporteur aérien étaient engagée à l’égard de son passager, sur le fondement de l’article 17.1° du règlement CE 889/2002 modifiant le règlement 2027/97 relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en cas d’accident.

Le tribunal a relevé que la société Aéroports de Paris a passé un marché le 29 mars 2010 avec la société Passerelle CGD pour assurer les prestations d’assistance des passagers handicapés et à mobilité réduite sur la plate-forme de l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle, et considéré que la société Passerelle CGD a manqué à son obligation de résultat de transporter l’usager d’un point à l’autre de l’aéroport en toute sécurité et engagé sa responsabilité quasi-délictuelle à l’égard de M. X.

Cette disposition n’est pas contestée par la société Passerelle CGD.

Le seul point de litige concerne l’appel incident de la société Aéroports de Paris, qui conteste son obligation à la dette indemnitaire envers la victime.

1.1 – sur l’obligation à la dette indemnitaire de la société Aéroports de Paris envers la victime

Le tribunal a retenu la responsabilité de la société Aéroports de Paris au motif que même si elle a passé un marché avec la société Passerelle CDG pour assurer les prestations d’assistance des passagers handicapés et à mobilité réduite sur la plate-forme de l’aéroport de Paris Charles-de-Gaulle, elle n’en a pas moins conservé, sur le fondement de l’article 8 du règlement CE n°1107/2006 du 5 juillet 2006, sa pleine responsabilité à l’égard des usagers, et pas seulement, comme elle le soutenait, au titre de la seule organisation générale du service.

La société Aéroports de Paris, qui sollicite sa mise hors de cause, fait valoir :

— qu’elle a rempli son obligation d’assistance aux passagers handicapés et à mobilité réduite (PHMR) telle que spécifiée au règlement CE n°1107/2006 du 5 juillet 2006 pour s’être bien assurée de la fourniture de l’assistance spécifiée à l’annexe I dudit règlement, à savoir la fourniture d’un fauteuil roulant pour permettre à la personne d’obtenir sa correspondance et d’embarquer dans l’aéronef, et ce en ayant mis en place les ‘arrangements nécessaires’ requis auprès d’un professionnel de l’assistance aux PHMR recevant une mission spécialement dédiée à cette tâche,

— qu’ainsi, dans le cadre du marché conclu, elle a, en exécution de sa mission de service public et du Règlement CE précité, chargé la société Passerelle CDG, en sa qualité de professionnelle, de

l’exécution des prestations d’assistance aux PHMR sur la plate-forme de Paris Charles-de-Gaulle,

— que la chute dont M. X a été victime est le fait non pas de l’organisation du service sur la plate-forme mais de l’exécution même de la prestation par le professionnel qui en avait la charge,

— que l’entité gestionnaire ne conserve sa responsabilité que du seul fait des obligations que cette entité continue d’assumer en dépit du contrat par application des dispositions du Règlement, à savoir des obligations relatives principalement à l’organisation générale du service (établissement des normes de qualité, formation, équipements aéroportuaires etc.),

— que l’accident résulte exclusivement de la man’uvre du fauteuil roulant par l’agent de la société Passerelle CDG,

— que l’accident étant exclusivement lié à l’exécution proprement dite du service, sans qu’aucun manquement de la société Aéroports de Paris à ses propres obligations relatives à l’organisation du service ne puisse être retenu et ne soit établi, seul le prestataire ayant réalisé l’assistance et pris en charge la personne doit nécessairement en répondre,

— qu’aucun contrat ne lie la société Aéroports de Paris aux usagers du service public dont elle a la charge,

— que la tribunal n’a ni précisé le fondement juridique de cette condamnation ni caractérisé une quelconque faute personnelle que la société Aéroports de Paris aurait commise à l’origine de l’accident.

La société Passerelle CDG rétorque que même si la société Aéroports de Paris lui a confié le service d’assistance aux passagers handicapés et à mobilité réduite, elle demeure responsable de l’exécution de cette prestation d’assistance en vertu de l’article 8 du règlement CE n° 1107/2006 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, dont la rédaction est dépourvue de toute ambiguïté.

Le règlement CE n°1107/2006 du 5 juillet 2006 concernant les droits des personnes handicapées et des personnes à mobilité réduite lorsqu’elles font des voyages aériens prévoit :

— en son article 7 intitulé ‘ droit d’assistance dans les aéroports’ :

1. Lorsqu’une personne handicapée et à mobilité réduite arrive dans un aéroport pour un voyage aérien, il incombe à l’entité gestionnaire de l’aéroport de s’assurer que l’assistance spécifiée à l’annexe 1 est fournie de telle manière que la personne soit en mesure de prendre le vol pour lequel elle possède une réservation (…)

— en son article 8 relatif à la ‘responsabilité de l’assistance dans les aéroports’ :

2. L’entité gestionnaire peut fournir cette assistance elle-même. Tout en conservant sa responsabilité, et à condition de satisfaire en permanence aux normes de qualité visées à l’article 9 paragraphe I, elle peut aussi conclure un contrat avec un ou plusieurs tiers pour fournir l’assistance (…)’

— en son annexe 1 intitulée ‘Assistance sous la responsabilité des entités gestionnaires des aéroports’ :

assistance et arrangements nécessaires pour permettre aux personnes handicapées et aux personnes à mobilité réduite de :

– embarquer à bord de l’aéronef grâce à la mise à disposition d’ascenseurs, de fauteuils roulants ou de toute autre assistance requise selon le cas,

– se rendre de la porte de l’aéronef jusqu’à leur siège (…)’

Il ressort, de manière claire et dépourvue de toute ambiguïté, de ces dispositions que la société Aéroports de Paris, entité gestionnaire de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle, reste, même si elle a conclu avec la société Passerelle CDG un marché de fourniture de l’assistance aux passagers handicapés et à mobilité réduite sur la plate-forme de Paris-Charles de Gaulle, responsable à l’égard de ces personnes de l’exécution de cette assistance telle que décrite à l’annexe 1 du règlement.

La société Aéroports de Paris a manqué à son obligation de résultat de transporter M. X d’un point à l’autre de l’aéroport en toute sécurité et engagé sa responsabilité délictuelle à son égard.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a condamné la société Aéroports de Paris in solidum avec la société Air France et la société Passerelle CDG à indemniser M. X de ses préjudices.

1.2 – sur la contribution à la dette indemnitaire

La société Passerelle CDG ne critique pas le jugement entrepris en ce qu’il a mis à sa charge l’intégralité de la contribution à la dette indemnitaire.

2 – sur la réparation du préjudice corporel de M. X

Les prétentions des parties peuvent être récapitulées comme suit :

jugement

demandes

offres de

préjudices patrimoniaux

Passerelle CDG

temporaires

et d’Aéroports de Paris

— dépenses de santé à charge

11 441,88 €

11 441,88 €

11 441,88 €

— assistance par tierce personne

57 344,00 €

67 840,00 €

28 672,00 €

permanents
– assistance par tierce personne

244 668,67 € 305 835,84 €

107 805,56 €

préjudices extra-patrimoniaux temporaires
– déficit fonctionnel temporaire

2 100,00 €

2 100,00 €

2 100,00 €

— souffrances endurées

5 000,00 €

10 000,00 €

5 000,00 €

— préjudice esthétique temporaire

1 500,00 €

5 000,00 €

1 500,00 €

permanents
– déficit fonctionnel permanent

10 800,00 €

24 000,00 €

10 800,00 €

— préjudice esthétique permanent

1 500,00 €

5 000,00 €

1 500,00 €

— totaux

334 354,55 € 431 217,72 €

168 819,44 €

Le docteur Y, expert, a émis l’avis suivant sur le préjudice corporel subi par M. X :

— blessures provoquées par l’accident : fracture de la malléole externe de la cheville gauche

— état antérieur : diabète compliqué de neuropathie, pollakiurie et importante obésité ralentissant le rythme de sa marche

— déficit fonctionnel temporaire :

début de période 10/11/2010

taux déficit

fin de période

05/01/2011 57 jours

70%

fin de période

11/03/2011 65 jours

40%

fin de période

16/06/2011 97 jours

20%

— assistance temporaire par tierce personne :

nombre heures

début de période 10/11/2010

par jour

fin de période

05/01/2011 57 jours

16

fin de période

11/03/2011 65 jours

8

fin de période

16/06/2011 97 jours

4

— souffrances endurées : 3 / 7

— préjudice esthétique temporaire : 1 / 7

— consolidation fixée au 16 juin 2011 (à l’âge de 78 ans)

— dépenses de santé futures : traitement occasionnel des séquelles selon prescription médicales et devis ou factures, changement ou réparation des équipements ou aides techniques nécessaires selon éventuelles prescription, devis et factures

— adaptation du logement : salle de bains et piscine nécessaires pour prendre en compte six factures datées

— adaptation du véhicule : subordonnée à l’avis de la commission ad hoc sur une éventuelle contre-indication définitive à la conduite d’un véhicule

 assistance par tierce personne permanente : 2 heures par jour à titre viager

— déficit fonctionnel permanent : 12 % en tenant compte des pathologies et de l’état antérieur

— préjudice esthétique permanent : 1 / 7

— préjudice d’agrément : existant.

Au vu de ces éléments et des pièces produites par les parties, le préjudice corporel de M. X sera indemnisé comme suit :

Préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

* dépenses de santé actuelles

Les parties acquiescent à l’indemnisation de 11 441,88 € allouée en première instance.

* assistance par tierce personne

Le tribunal a considéré que M. X a eu recours au ‘service d’aide au fauteuil’ pour effectuer son transfert en temps et en heure à l’aéroport, précisément en raison de son obésité morbide, que l’expert judiciaire a souligné que la corpulence de l’intéressé ‘crédibilisait’ le recours à l’aide de deux personnes, laquelle était dès lors pleinement justifiée. Il a liquidé le préjudice à la somme de 57 344 € sur la base de 16 € par heure et 412 jours.

La société Passerelle CDG critique cette évaluation en faisant valoir :

— que M. X souffrait déjà, à la date de l’accident, d’une obésité morbide limitant son autonomie et sa mobilité et qu’il avait besoin d’être assisté par une tierce personne dans certains déplacements (ce qui explique la commande d’un fauteuil roulant à l’aéroport) et pour certains actes de la vie quotidienne,

— que l’accident a simplement eu pour conséquence d’augmenter le besoin d’assistance en termes de durée et de fréquence, mais non d’imposer la nécessité d’une tierce personne complémentaire,

— que l’expert judiciaire n’indique pas qu’il est indispensable et nécessaire que M. X soit assisté par deux personnes,

— que le préjudice doit être liquidé à la somme de 28 672 € en retenant la nécessité d’une seule tierce personne avec un taux horaire de 16 €, tel que fixé par le jugement, M. X ne justifiant pas d’un coût de la vie plus élevé aux Antilles.

M. X conteste uniquement le taux horaire qu’il souhaite voir fixer à 20 € pour obtenir une indemnisation de 67 840 €, au motif que ce type de service d’assistance à la personne coûte généralement de 20 à 33 % plus cher aux Antilles néerlandaises où l’offre est moins nombreuse et la demande plus soutenue.

S’agissant du besoin de deux personnes, il fait valoir :

— qu’il souffrait déjà avant l’accident d’une obésité morbide, ce qui l’obligeait à se déplacer lentement, voire à effectuer certains déplacements à l’aide d’un fauteuil roulant quand il avait besoin de plus de rapidité, mais qu’il n’était pas rendu infirme par son état d’obésité,

— que l’expert judiciaire a noté que même s’il pouvait être assisté dans certains déplacements par le passé (longs couloirs d’aéroports, montée de escaliers parfois) et était une personne à mobilité réduite, il jouissait d’une certaine autonomie,

— qu’il a désormais besoin d’une assistance de deux personnes et ne doit cette condition pénible qu’aux séquelles de l’accident.

La société Aéroports de Paris s’associe aux observations de la société Passerelle CDG.

M. X E, avant son accident, 150 kg pour une taille de 1,70 mètre (cf. synthèse de prise en charge aux urgences de l’hôpital de Marigot du 15 novembre 2010) et 162 kg lors de son examen par l’expert judiciaire en 2013.

L’expert judiciaire a relevé qu’il était, avant l’accident, atteint depuis 30 ans ‘d’un diabète compliqué de neuropathie, de pollakiurie et surtout d’une importante obésité, installée depuis plusieurs années, ralentissant le rythme de sa marche et constituant de l’aveu même de la victime, un frein à certains de ses déplacements’.

En réponse aux dires, il a précisé que ‘même si M. X était âgé, atteint d’obésité morbide et d’un diabète compliqué de neuropathie, il n’est nulle part inscrit qu’il était en fauteuil roulant dans ses déplacements habituels‘.

Il est par ailleurs établi, du fait de l’accident, qu’il sollicitait une assistance aux personnes à mobilité réduite avec emploi d’un fauteuil roulant pour ses déplacements dans les aéroports.

Le docteur Y a estimé ce déficit antérieur à 5 % (gêne à la marche, pas d’aide technique) et

indiqué que le traumatisme avait aggravé l’étant antérieur résultant des différentes pathologies pour porter le taux de déficit fonctionnel permanent imputable à l’accident à 12 % (laxité, instabilité du coup-de-pied et gêne à la marche).

Avant consolidation, il a retenu un besoin d’aide en tierce personne non spécialisée pour le lever, la toilette, les besoins de la nuit (pollakiurie nocturne) ainsi que les déplacements médicaux et non à l’extérieur, à raison de 16 heures par jour du 10 novembre 2010 au 5 janvier 2011, période où il a dû porter une attelle, de 8 heures par jour du 6 janvier 2011 au 11 mars 2011 et de 4 heures par jour du 12 mars 2011 au 16 juin 2011. Il a précisé entre parenthèses : ‘total pour une ou deux personnes‘.

Il a ajouté, en réponse aux dires des parties, que M. X ‘avait indiqué avoir eu souvent recours à l’aide de deux personnes, ce que sa corpulence crédibilise‘ et que ‘le décompte de l’assistance par rapport aux besoins antérieurs n’a pas été fourni par la gérante du condominium’ mais que ‘cependant, la connaissance du poids de M. X permet d’admettre que deux personnes peuvent parfois être nécessaires pour aider certains mouvements rendus nécessaires par l’état résiduel‘.

Enfin, il sera relevé qu’au titre des doléances, l’expert a noté :

‘Pendant 4 à 6 mois, M. X a eu besoin de l’aide spécialisée de 2 personnes de jour comme de nuit : 8 h le jour pour la toilette, les déplacements dans l’appartement ou jusqu’à la piscine pour les séances de rééducation en piscine, la nuit, principalement pour la satisfaction d’impérieux besoins d’uriner. A cet effet, un urinoir a dû être prescrit‘.

Il se déduit de ces éléments que si l’aide de deux personnes a été nécessaire pendant la période de consolidation, elle ne l’a pas été pour tous les actes de la vie courante retenus par l’expert. Dès lors, l’assistance par une seconde tierce personne sera admise à hauteur de la moitié des heures retenues par l’expert.

Sur la base d’un coût horaire de 16 € justement apprécié par les premiers juges, ce poste sera évalué à la somme de 49 304,55 € se décomposant comme suit :

dates

16,00 € / heure nombre heures

412

début de période 10/11/2010

par jour

jours par an :

fin de période

05/01/2011

57 jours

24

21 888,00 €

fin de période

11/03/2011

65 jours

12

12 480,00 €

fin de période

16/06/2011

97 jours

6

9 312,00 €

49 304,55 €

Le jugement sera infirmé en ce sens.

Préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)

* assistance par tierce personne

L’expert a retenu un besoin d’aide humaine non médicalisée à compter du 17 juin 2011 à raison de 2 heures par jour à titre viager, en indiquant entre parenthèses que ce besoin ‘s’entend hors le quota d’heures qu’il utilisait avant l’accident pour pallier les difficultés en rapport avec ses pathologies antérieures‘.

Le tribunal a liquidé ce poste en retenant un besoin d’aide par deux personnes sur le même prix horaire de 16 € et sur 412 jours, en allouant la somme de 79 104 € au titre des arrérages échus au 14 juin 2014 et celle de 165 564,67 € à compter de cette date après capitalisation selon le barème publié par la Gazette du Palais en 2013.

La société Passerelle CDG prétend que l’indemnisation de la tierce personne future effectuée par une seule personne devra être fixée à hauteur de 107 805,56 € (13 184 € x 8,177), selon un coût annuel calculé sur 412 jours et 16 € de l’heure, avec capitalisation à la date de consolidation selon l’euro de rente viagère issu du barème publié par la Gazette du Palais en 2013.

M. X sollicite l’indemnisation d’un besoin de deux tierces personnes au coût horaire de 20 € sur la base de 412 jours et avec application du barème de capitalisation publié par la Gazette du Palais en novembre 2013, soit :

— au titre des arrérages échus au 16 juin 2014 : 98 880 € (soit 80€ x 412 jours x 3 ans)

— à compter du 16 juin 2014 : 2h x 2 personnes x 20 € x 412 jours x 6,279 = 206 955,84 €.

Dans sa réponse aux dires, l’expert judiciaire a précisé que ‘des mouvements sont possibles mais il existe une difficulté à la marche liée en partie à l’instabilité de la cheville, séquelle de l’accident‘.

Au chapitre des doléances, il a noté que M. X disait ‘pouvoir actuellement se déplacer seul dans l’appartement tout en craignant de tomber‘.

Au vu des éléments ainsi réunis, M. X ne rapporte pas la preuve d’un besoin de deux tierces personnes pour la période postérieure à la consolidation.

M. X ne justifie pas d’un coût bien plus élevé aux Antilles néerlandaises qu’en France pour ce type de main d’oeuvre et l’indemnisation sera effectuée sur la base de 18 € de l’heure et selon la méthode de calcul et le barème de capitalisation sollicités par lui, comme suit :

— au titre des arrérages échus du 17 juin 2011 au 16 juin 2014 : 2h x 18 € x 412 jours x 3 ans = 44 496 €

— à compter du 16 juin 2014 : 2h x 18 € x 412 jours x 6,279 = 93 130,12 €.

Il sera alloué la somme de 137 626,12 €, en infirmation du jugement.

Préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

* déficit fonctionnel temporaire

Les parties acquiescent à l’indemnisation de 2 100 € allouée en première instance.

* souffrances endurées

M. X estime que ce poste de préjudice a été sous-évalué au motif que ni l’expert ni le tribunal n’ont pris en compte ses souffrances morales.

L’expert a évalué ces souffrances au degré 3/7 en retenant le traumatisme initial, les séances de rééducation, les douleurs physiques du membre inférieur et une souffrance psychologique liée au lieu et à la nature de la chute.

L’indemnisation de ce poste de préjudice est liquidée à la somme de 5 000 €, en confirmation du jugement.

* préjudice esthétique temporaire

L’expert l’a évalué au degré 1/7 en retenant l’oedème de la cheville, le port d’une attelle et l’utilisation

d’une chaise roulante.

L’indemnisation de ce poste de préjudice a justement été liquidée par les premiers juges à la somme de 1 500 €.

Préjudices extra-patrimoniaux permanents (après consolidation)

* déficit fonctionnel permanent

L’expert l’a évalué au taux de 12 % en tenant compte des pathologies et de l’état antérieur.

La victime étant âgée de 78 ans au jour de sa consolidation, l’indemnisation de ce poste de préjudice est fixée à la somme de 10 800 €, en confirmation du jugement.

* préjudice esthétique permanent

L’expert l’a évalué au degré 1/7 en retenant une boiterie et un empâtement de la cheville gauche.

L’indemnisation de ce poste de préjudice est liquidée à la somme de 1 500 €, en confirmation du jugement.

En résumé, le préjudice de M. X s’établit comme suit :

— dépenses de santé à charge

11 441,88 €

— assistance par tierce personne temporaire

49 304,55 €

— assistance par tierce personne permanent

137 626,12 €

— déficit fonctionnel temporaire

2 100,00 €

— souffrances endurées

10 000,00 €

— préjudice esthétique temporaire

1 500,00 €

— déficit fonctionnel permanent

10 800,00 €

— préjudice esthétique permanent

5 000,00 €

— total

227 772,55 €

3 – sur les dépens et les frais irrépétibles

Chaque partie conservera la charge de ses dépens et de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,

Dans la limite des appels principaux et incidents,

Infirme le jugement en ce qu’il a :

• fixé le préjudice corporel de M. X à 313 454,55 € pour les préjudices patrimoniaux et 20 900 € pour les préjudices extra-patrimoniaux,

• condamné in solidum la société Air France, la société Aéroports de Paris et la société Passerelle CDG à payer à M. X la somme totale de 334 354,55 € en réparation de l’ensemble de ses préjudices, en deniers ou quittances,

Confirme le jugement en ce qu’il a :

• déclaré la société Air France, la société Aéroports de Paris et la société Passerelle CDG in solidum entièrement responsables des conséquences dommageables de l’accident survenu à M. A X le 10 novembre 2010,

• condamné in solidum la société Aéroports de Paris et la société Passerelle CDG à relever et garantir la société Air France de l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre,

Statuant à nouveau,

Condamne in solidum la société Air France, la société Aéroports de Paris et la société Passerelle CDG à payer à M. A X les sommes suivantes en réparation de son préjudice corporel, provisions et sommes versées en exécution provisoire du jugement non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus :

— dépenses de santé à charge

11 441,88 €

— assistance par tierce personne temporaire

49 304,55 €

— assistance par tierce personne permanent

137 626,12 €

— déficit fonctionnel temporaire

2 100,00 €

— souffrances endurées

10 000,00 €

— préjudice esthétique temporaire

1 500,00 €

— déficit fonctionnel permanent

10 800,00 €

— préjudice esthétique permanent

5 000,00 €

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens et frais irrépétibles d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE