Droit Aerien

Règlement (CE) n° 261/2004/Applicabilité

Notion de « vol » et refus d’applicabilité du règlement d’un vol au départ d’un Etats tiers même si le vol aller était au départ d’un Etat membre – CJUE, 17 juillet 2008, Emirates Airlines, C-173/07

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L’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à la situation d’un voyage aller-retour dans laquelle les passagers initialement partis d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du traité CE regagnent cet aéroport sur un vol au départ d’un aéroport situé dans un pays tiers. La circonstance que le vol aller et le vol retour fassent l’objet d’une réservation unique est sans incidence sur l’interprétation de cette disposition.

Texte intégral

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

10 juillet 2008 (*)

«Transport aérien – Règlement (CE) n° 261/2004 – Indemnisation des passagers en cas d’annulation d’un vol – Champ d’application – Article 3, paragraphe 1, sous a) – Notion de ‘vol’»

Dans l’affaire C‑173/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main (Allemagne), par décision du 7 mars 2007, parvenue à la Cour le 2 avril 2007, dans la procédure

Emirates Airlines – Direktion für Deutschland

contre

Diether Schenkel,

 

[…]

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91 (JO L 46, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la compagnie aérienne Emirates Airlines – Direktion für Deutschland (ci-après «Emirates») à M. Schenkel au sujet du refus d’Emirates d’indemniser ce dernier à la suite de l’annulation d’un vol au départ de Manille (Philippines).

[…]

Le litige au principal et la question préjudicielle

13      M. Schenkel a réservé en Allemagne, auprès d’Emirates, un voyage aller-retour au départ de Düsseldorf (Allemagne) et à destination de Manille, via Dubaï (Émirats arabes unis).

14      Pour le retour de M. Schenkel, sa réservation portait sur le vol du 12 mars 2006 partant de Manille. Ce vol a été annulé en raison de problèmes techniques. M. Schenkel est finalement parti de Manille le 14 mars 2006 pour arriver à Düsseldorf le même jour.

15      M. Schenkel a formé devant l’Amtsgericht Frankfurt am Main un recours contre Emirates à qui il a réclamé une indemnisation de 600 euros, en se prévalant des articles 5, paragraphe 1, sous c), et 7, paragraphe 1, sous c), du règlement nº 261/2004.

16      Il a fait valoir que l’indemnisation prévue à ces dispositions en cas d’annulation du vol lui est applicable en l’espèce. Il a soutenu, en effet, que le vol aller et le vol retour sont des parties dépendantes d’un seul et même vol. Le point de départ de cet unique vol étant Düsseldorf, il était donc un «passager au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre» de la Communauté européenne, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du même règlement.

17      Emirates a soutenu que le vol aller et le vol retour doivent être considérés comme deux vols distincts. Par ailleurs, Emirates ne dispose pas d’une licence octroyée par un État membre au titre de l’article 2, sous c), du règlement (CEE) n° 2407/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant les licences des transporteurs aériens (JO L 240, p. 1).

18      Faisant valoir qu’elle n’était donc pas un «transporteur communautaire» visé à l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 261/2004, Emirates a conclu qu’elle n’était pas tenue d’indemniser M. Schenkel pour le vol annulé.

19      L’Amtsgericht Frankfurt am Main a fait droit aux conclusions de M. Schenkel. Emirates a interjeté appel devant l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main.

20      Bien que l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main incline à penser qu’un voyage aller-retour ne constitue qu’un seul et même vol aux fins du règlement n° 261/2004, il s’interroge sur le bien-fondé de cette interprétation de la notion de vol.

21      Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La disposition de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement […] n° 261/2004 […] doit-elle être interprétée en ce sens qu’un ‘vol’ englobe le voyage aller-retour par avion depuis le lieu de départ jusqu’au lieu de destination, en tout état de cause lorsque le vol aller et le vol retour ont été réservés en même temps?»

[…]

La notion de vol s’avère déterminante pour répondre à la question posée en dépit du fait que, même si elle figure dans la version allemande de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 261/2004, une nette majorité des autres versions linguistiques de cette même disposition n’y fait pas référence ou utilise un terme dérivé du mot «vol».

25      En effet, ainsi que l’a fait observer Mme l’avocat général au point 8 de ses conclusions, les passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre ou dans un pays tiers sont nécessairement des passagers embarquant sur un vol au départ d’un tel aéroport. Ainsi, cette divergence entre les différentes versions linguistiques est sans incidence sur le sens réel à donner aux dispositions en cause, qui déterminent le champ d’application dudit règlement.

26      En conséquence, il convient, d’emblée, d’interpréter la notion de vol.

27      À cet égard, il y a lieu de constater que cette notion n’est pas au nombre de celles qui font l’objet, au sein du règlement n° 261/2004, de l’article 2, intitulé «Définitions». Elle n’est pas davantage définie dans les autres articles de ce règlement.

28      Dans ces circonstances, il importe d’interpréter la notion de vol à la lumière de l’ensemble des dispositions du règlement n° 261/2004 ainsi que de l’objectif poursuivi par celui-ci.

29      Toutefois, avant de procéder à cette analyse, il convient de relever que l’article 3, paragraphe 1, point a), du règlement n° 261/2004 auquel se réfère la juridiction de renvoi, doit être lu en combinaison avec le point b) de ce même article 3, paragraphe 1.

30      Il ressort de l’ensemble de ce paragraphe 1 que ledit règlement s’applique aux situations dans lesquelles les passagers empruntent un vol soit au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre [point a)], soit au départ d’un aéroport situé dans un pays tiers et à destination d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre qu’à la condition que le transporteur aérien qui réalise le vol soit un transporteur communautaire [point b)].

31      Il en résulte qu’une situation dans laquelle les passagers partent d’un aéroport situé dans un pays tiers ne saurait être considérée comme étant au nombre de celles visées à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 261/2004 et que, dès lors, elle ne relève du champ d’application de ce règlement qu’à la condition prévue au même article 3, paragraphe 1, sous b), c’est-à-dire celle qui prévoit que le transporteur aérien qui réalise le vol soit un transporteur communautaire.

32      S’agissant ensuite de l’interprétation des dispositions pertinentes dudit règlement, il y a lieu, d’abord, de relever que l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 261/2004 fait référence à un vol qui fait partie d’un voyage à forfait, ce qui implique qu’un vol n’est pas identique à un voyage et que ce dernier peut être constitué de plusieurs vols. À cet égard, le paragraphe 1 de cet article fait expressément référence à la notion de «vol retour», indiquant ainsi l’existence d’un vol aller effectué au cours du même voyage.

33      Cette affirmation se trouve corroborée par l’article 2, sous h), du règlement n° 261/2004, qui définit la notion de «destination finale» comme celle figurant sur le billet présenté au comptoir d’enregistrement, ou, dans le cas des vols avec correspondances, comme celle de la destination du dernier vol.

34      Ensuite, l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 261/2004 opère une distinction entre le point de départ initial et la destination finale des passagers, et vise ainsi deux lieux distincts. Or, supposer qu’un «vol» au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), dudit règlement soit regardé comme un voyage aller-retour reviendrait à considérer que la destination finale de celui-ci serait identique à son point de départ initial. Dans ces conditions, cette disposition serait dénuée de sens.

35      Enfin, regarder un «vol» au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 261/2004 comme un voyage aller-retour aurait, en réalité, pour effet de diminuer la protection à accorder aux passagers en vertu de ce règlement, ce qui serait contraire à son objectif qui consiste à garantir un niveau élevé de protection des passagers (voir, en ce sens, arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C-344/04, Rec. p. I-403, point 69).

36      En outre, d’une part, les articles 4, paragraphe 1, 5, paragraphe 1, et 8, paragraphe 1, du règlement n° 261/2004 prévoient la réparation de différents préjudices pouvant survenir à l’occasion d’un vol, mais n’envisagent pas qu’un de ces préjudices puisse survenir plusieurs fois sur un même vol. Dans ces conditions, les passagers initialement partis d’un aéroport situé dans un État membre ne pourraient prétendre bénéficier de cette protection qu’une seule fois s’ils devaient subir un même préjudice à l’aller comme au retour.

37      D’autre part, interpréter l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 261/2004 de telle sorte qu’un vol englobe un voyage aller-retour reviendrait encore à priver de leurs droits les passagers dans une situation où le vol au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre n’est pas assuré par un transporteur communautaire.

38      À cet égard, les passagers d’un tel vol initialement partis d’un aéroport situé dans un pays tiers ne pourraient bénéficier de la protection accordée par le règlement n° 261/2004. En revanche, les passagers débutant leur voyage sur ce même vol pourraient, pour leur part, bénéficier de cette protection dès lors qu’ils seraient regardés comme des passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre. Les passagers d’un même vol dont la protection au regard des conséquences préjudiciables découlant de celui-ci doit être identique seraient alors traités différemment.

39      Or, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt IATA et ELFAA, précité, point 95; du 12 septembre 2006, Eman et Sevinger, C-300/04, Rec. p. I-8055, point 57, ainsi que du 11 septembre 2007, Lindorfer/Conseil, C-227/04 P, Rec. p. I‑6767, point 63).

40      À la lumière de l’ensemble de ces éléments, il convient d’interpréter la notion de «vol» au sens du règlement n° 261/2004 de telle manière qu’il consiste, en substance, en une opération de transport aérien, étant ainsi, d’une certaine manière, une «unité» de ce transport, réalisée par un transporteur aérien qui fixe son itinéraire.

41      En revanche, la notion de «voyage» se rattache à la personne du passager qui choisit sa destination et s’y rend au moyen de vols assurés par des transporteurs aériens. Un voyage, qui comporte normalement les parties «aller» et «retour», est avant tout déterminé par l’objectif personnel et individuel du déplacement. La notion de voyage ne figurant pas dans le libellé de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 261/2004, elle est, en principe, sans incidence sur l’interprétation de celui-ci.

42      Dans ces conditions, il importe de vérifier si d’autres instruments juridiques pertinents en la matière peuvent avoir une incidence sur l’interprétation de la notion de vol. À ce titre, il y a lieu d’examiner si, comme semble le constater la juridiction de renvoi, la convention de Montréal est déterminante. Celle-ci définit les obligations des transporteurs aériens à l’égard des passagers avec lesquels ils ont conclu un contrat de transport et fixe notamment les modalités selon lesquelles les passagers peuvent obtenir une réparation individualisée, sous la forme de dommages-intérêts, des préjudices résultant d’un retard.

43      Il est vrai que la convention de Montréal fait partie intégrante de l’ordre juridique communautaire (voir, en ce sens, arrêt IATA et ELFAA, précité, points 35 et 36). Par ailleurs, il ressort de l’article 300, paragraphe 7, CE que les institutions de la Communauté sont liées par les accords conclus par celle-ci et, par conséquent, que ces accords bénéficient de la primauté sur les actes de droit communautaire dérivé (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 1996, Commission/Allemagne, C‑61/94, Rec. p. I-3989, point 52).

44      Toutefois, la convention de Montréal ne détermine en aucune façon l’étendue des obligations précédemment indiquées par une quelconque référence à la notion de vol, qui ne figure d’ailleurs pas dans le texte de ladite convention.

45      En outre, comme le relève à juste titre la juridiction de renvoi, des transports successifs sont considérés, selon la convention de Montréal, comme un «transport unique», notamment lorsqu’ils ont été conclus sous la forme d’un seul contrat. Or, dans la mesure où cette notion de transport unique fait référence à une succession de plusieurs trajets choisis par le passager, celle-ci se rapproche plutôt de la notion de voyage telle qu’elle est définie au point 41 du présent arrêt.

46      Ainsi, la convention de Montréal ne s’avère pas déterminante pour l’interprétation de la notion de «vol» au sens du règlement n° 261/2004.

47      Il découle des points 32 à 41 du présent arrêt qu’un voyage aller-retour ne peut être regardé comme un seul et même vol. Par conséquent, l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 261/2004 ne saurait s’appliquer à une situation d’un voyage aller-retour telle que celle de l’affaire au principal dans laquelle les passagers initialement partis d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre regagnent cet aéroport sur un vol au départ d’un aéroport situé dans un pays tiers.

48      Une telle interprétation se trouve également corroborée par l’article 17, deuxième tiret, du règlement n° 261/2004, éclairé par le vingt-troisième considérant de celui-ci, selon lequel le législateur communautaire envisage à l’avenir l’extension éventuelle du champ d’application dudit règlement aux passagers des vols au départ d’un pays tiers et à destination d’un État membre qui ne sont pas assurés par des transporteurs communautaires.

49      À supposer que l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 261/2004 vise également les situations d’un voyage aller-retour dans lesquelles les passagers initialement partis d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre embarquent sur un vol au départ d’un aéroport situé dans un pays tiers, les passagers visés à l’article 17, deuxième tiret, dudit règlement relèveraient déjà de son champ d’application. Dès lors, cette disposition serait dénuée de sens.

50      Quant à la question relative à la circonstance que le vol aller et le vol retour fassent l’objet d’une réservation unique, elle est sans incidence sur la conclusion évoquée au point 47 du présent arrêt.

51      En effet, la définition que donne l’article 2, sous g), du règlement n° 261/2004 de la notion de «réservation» ne fournit aucun élément permettant de préciser l’étendue du champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 261/2004. Le fait que les passagers procèdent à une réservation unique est sans incidence sur l’autonomie des deux vols.

52      Par conséquent, le mode de réservation ne saurait être considéré comme un élément pertinent pour déterminer la portée de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 261/2004.

53      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 261/2004 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à la situation d’un voyage aller-retour dans laquelle les passagers initialement partis d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du traité regagnent cet aéroport sur un vol au départ d’un aéroport situé dans un pays tiers. La circonstance que le vol aller et le vol retour fassent l’objet d’une réservation unique est sans incidence sur l’interprétation de cette disposition.

 Sur les dépens

54      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

L’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à la situation d’un voyage aller-retour dans laquelle les passagers initialement partis d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du traité CE regagnent cet aéroport sur un vol au départ d’un aéroport situé dans un pays tiers. La circonstance que le vol aller et le vol retour fassent l’objet d’une réservation unique est sans incidence sur l’interprétation de cette disposition.