ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 28 janvier 2021, parvenue à la Cour le 25 février 2021, dans la procédure
BT
contre
Laudamotion GmbH,
[…]
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, et de l’article 29 de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999, signée par la Communauté européenne le 9 décembre 1999 et approuvée au nom de celle-ci par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001 (JO 2001, L 194, p. 38, ci‑après la « convention de Montréal »), qui est entrée en vigueur, en ce qui concerne l’Union européenne, le 28 juin 2004.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BT à Laudamotion GmbH, un transporteur aérien, au sujet d’une demande en réparation introduite par BT en raison d’un trouble de stress post‑traumatique subi à l’occasion d’une évacuation en urgence de l’aéronef qui devait la transporter.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8 Le 1er mars 2019, BT a embarqué sur un vol opéré par Laudamotion reliant Londres (Royaume-Uni) à Vienne (Autriche).
9 Au décollage, le réacteur gauche de l’aéronef qui devait effectuer ce vol a explosé, entraînant l’évacuation des passagers. BT a quitté cet aéronef en utilisant une sortie de secours et a été projetée à plusieurs mètres en l’air par le souffle du réacteur droit qui n’était pas encore coupé. Depuis, il lui a été diagnostiqué un trouble de stress post‑traumatique, pour lequel elle est suivie médicalement.
10 BT a saisi le Bezirksgericht Schwechat (tribunal de district de Schwechat, Autriche) d’un recours contre Laudamotion tendant à faire constater la responsabilité de celle‑ci en vertu de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal ainsi qu’à obtenir le paiement des sommes de 4 353,60 euros, au titre des frais médicaux exposés, et de 2 500 euros de dommages‑intérêts, pour préjudice moral, majorées des frais et des dépens. Elle a souligné que, en tout état de cause, la responsabilité de Laudamotion est engagée en vertu du droit autrichien, applicable de manière complémentaire.
11 En défense, Laudamotion a soutenu que l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal ne couvre que les lésions corporelles au sens strict, et non les troubles purement psychiques, et a ajouté que le droit autrichien n’est pas applicable au litige au principal, en vertu de l’article 29 de cette convention.
12 Par jugement du 12 novembre 2019, le Bezirksgericht Schwechat (tribunal de district de Schwechat) a accueilli le recours. Cette juridiction a considéré que le litige au principal ne relevait pas de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal, cette disposition ne prévoyant la responsabilité du transporteur aérien que pour des lésions corporelles. Elle a néanmoins jugé que la responsabilité de Laudamotion était engagée en vertu du droit autrichien, qui prévoit des dommages-intérêts pour un préjudice purement psychique dans le cas où celui‑ci atteint un niveau pathologique.
13 Saisi en appel par Laudamotion, le Landesgericht Korneuburg (tribunal régional de Korneubourg, Autriche) a, par arrêt du 7 avril 2020, infirmé le jugement de première instance et rejeté le recours indemnitaire. Cette juridiction a considéré non seulement, comme le Bezirksgericht Schwechat (tribunal de district de Schwechat), que l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal ne s’applique pas en cas de lésions non corporelles, mais également que l’article 29 de cette convention exclut l’application du droit autrichien.
14 BT a alors saisi l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), la juridiction de renvoi, d’un recours en Revision contre cet arrêt.
15 Cette juridiction éprouve des doutes quant au point de savoir si la notion de « lésion corporelle », au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal, couvre également les troubles purement psychiques et si, en cas de réponse négative, une action en dommages‑intérêts fondée sur le droit national est exclue en vertu de l’article 29 de cette convention.
16 Dans ces conditions, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le trouble psychique d’un passager, causé par un accident et atteignant un niveau pathologique, constitue-t-il une “lésion corporelle” au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la [convention de Montréal] ?
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
17 Il convient de comprendre cette question comme visant à déterminer, en substance, si l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal doit être interprété en ce sens qu’une lésion psychique atteignant un niveau pathologique, causé à un passager par un « accident », au sens de cette disposition, doit être indemnisée conformément à ladite disposition.
18 Il y a lieu de rappeler d’emblée que, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2027/97, la responsabilité des transporteurs aériens de l’Union à l’égard des passagers et de leurs bagages est régie par toutes les dispositions de la convention de Montréal relatives à cette responsabilité.
19 Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de cette convention, le transporteur aérien est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l’accident qui a causé la mort ou la lésion s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement.
20 La notion de « lésion corporelle » visée par cette disposition n’est cependant définie ni dans la convention de Montréal ni dans le règlement no 2027/97, dont l’article 2, paragraphe 2, prévoit que les notions contenues dans ce règlement qui ne sont pas définies au paragraphe 1 de cet article sont équivalentes à celles utilisées dans cette convention.
21 Cette notion doit recevoir, eu égard notamment à l’objet de la convention de Montréal, qui est d’unifier certaines règles relatives au transport aérien international, une interprétation uniforme et autonome pour l’Union et ses États membres (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2010, Walz, C‑63/09, EU:C:2010:251, point 21). Ainsi, il doit être tenu compte non pas des divers sens pouvant être donnés à ladite notion dans les droits internes des États membres, mais des règles d’interprétation du droit international général qui s’imposent à l’Union (voir, par analogie, arrêt du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt, C‑532/18, EU:C:2019:1127, point 32 et jurisprudence citée).
22 À cet égard, l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331), qui reflète le droit international coutumier et dont les dispositions font partie de l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK, C‑266/16, EU:C:2018:118, point 58 et jurisprudence citée), précise qu’un traité doit être interprété de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt, C‑532/18, EU:C:2019:1127, point 31 et jurisprudence citée). Par ailleurs, l’article 32 de cette convention prévoit qu’il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, notamment aux travaux préparatoires du traité en cause et aux circonstances dans lesquelles il a été conclu.
23 En ce qui concerne le sens ordinaire de la notion de « lésion corporelle » prévue à l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal, il y a lieu de souligner, à l’instar de M. l’avocat général au point 25 de ses conclusions, que le terme « lésion » désigne l’altération d’un organe, d’un tissu ou d’une cellule, en raison d’une maladie ou d’un accident, tandis que le terme « corporel » renvoie à la partie matérielle d’un être animé, à savoir le corps humain.
24 Or, si la notion de « lésion corporelle », dans son sens ordinaire, ne saurait être interprétée comme excluant une lésion psychique liée à une telle lésion corporelle, il en va autrement s’agissant, comme en l’occurrence, ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, d’une lésion psychique médicalement avérée, qui ne présente aucun lien avec une lésion corporelle, au sens ordinaire de cette notion. En effet, une telle interprétation reviendrait à brouiller la distinction entre lésion corporelle et lésion psychique.
25 Toutefois, le fait que la notion de « lésion corporelle » a été retenue dans le libellé de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal ne suppose pas nécessairement que les auteurs de cette convention aient entendu exclure, en cas d’« accident », au sens de cette disposition, la responsabilité des transporteurs aériens lorsque cet accident a causé des lésions psychiques à un passager qui ne sont liées à aucune lésion corporelle ayant la même cause.
26 S’agissant des travaux préparatoires ayant conduit à l’adoption de ladite convention, il en ressort, certes, qu’aucune des propositions visant à inclure expressément la notion de « lésion psychique » dans le texte de la convention de Montréal n’a abouti. Cependant, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 41 de ses conclusions, il ressort aussi de ces travaux que la notion de « lésion corporelle » a été retenue « sur la base que, dans certains États, des dommages‑intérêts pour des lésions psychiques sont recouvrables sous certaines conditions, que la jurisprudence se développe dans ce domaine, et qu’il n’est pas envisagé d’interférer avec ce développement, qui dépend de la jurisprudence dans des domaines autres que le transport aérien international » (procès‑verbal de la 6e réunion de la commission plénière du 27 mai 1999, Conférence internationale de droit aérien, Montréal, 10 au 28 mai 1999, vol. I, procès-verbaux, p. 243).
27 S’agissant, par ailleurs, des objectifs de la convention de Montréal, il convient de rappeler que figurent parmi eux, aux termes des deuxième et troisième considérants de cette convention, outre la modernisation et la refonte de la convention de Varsovie, celui d’assurer « la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation », notamment en cas d’accident, au moyen d’un régime de responsabilité objective des transporteurs aériens. Or, la nécessité d’une indemnisation équitable, qui requiert aussi d’assurer l’égalité de traitement des passagers ayant subi des lésions, qu’elles soient physiques ou psychiques, de même gravité en conséquence d’un même accident, serait mise en cause si l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal était interprété en ce sens qu’il exclut la réparation des lésions psychiques causées par un tel accident, lorsqu’elles ne sont liées à aucune lésion corporelle.
28 En effet, la situation d’un passager ayant subi une lésion psychique en conséquence d’un accident peut, en fonction de la gravité du dommage qui en résulte, s’avérer comparable à celle d’un passager ayant subi une lésion corporelle.
29 Il convient, par conséquent, de considérer que l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal permet l’indemnisation d’une lésion psychique causée par un « accident », au sens de cette disposition, qui n’est pas liée à une « lésion corporelle », au sens de ladite disposition.
30 Cependant, la nécessité d’une indemnisation équitable doit être conciliée, ainsi qu’il découle du cinquième considérant de la convention de Montréal, avec la nécessité de préserver un « équilibre équitable des intérêts » des transporteurs aériens et des passagers (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt, C‑532/18, EU:C:2019:1127, point 36, et du 12 mai 2021, Altenrhein Luftfahrt, C‑70/20, EU:C:2021:379, point 36).
31 Ainsi, la responsabilité du transporteur aérien ne saurait être engagée, sur le fondement de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal, que si le passager lésé démontre, à suffisance de droit, au moyen notamment d’une expertise médicale et de justificatifs de traitements médicaux, l’existence d’une atteinte à son intégrité psychique, subie en conséquence d’un « accident », au sens de cette disposition, d’une gravité ou d’une intensité telles qu’elle affecte son état général de santé, compte tenu notamment de ses effets psychosomatiques, et qu’elle ne peut s’estomper sans traitement médical.
32 Cette interprétation permet à la fois aux passagers lésés d’être indemnisés de façon équitable, conformément au principe de réparation, et aux transporteurs aériens de se prémunir contre des demandes en réparation frauduleuses leur imposant une charge de réparation très lourde, difficilement identifiable et calculable, qui serait susceptible de compromettre, voire de paralyser leur activité économique (voir, par analogie, arrêt du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt, C‑532/18, EU:C:2019:1127, point 40).
33 Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal doit être interprété en ce sens qu’une lésion psychique causée à un passager par un « accident », au sens de cette disposition, qui n’est pas liée à une « lésion corporelle », au sens de ladite disposition, doit être indemnisée au même titre qu’une telle lésion corporelle, pour autant que le passager lésé démontre l’existence d’une atteinte à son intégrité psychique d’une gravité ou d’une intensité telles qu’elle affecte son état général de santé et qu’elle ne peut s’estomper sans traitement médical.
[…]
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
L’article 17, paragraphe 1, de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999, signée par la Communauté européenne le 9 décembre 1999 et approuvée au nom de celle-ci par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001, doit être interprété en ce sens que : une lésion psychique causée à un passager par un « accident », au sens de cette disposition, qui n’est pas liée à une « lésion corporelle », au sens de ladite disposition, doit être indemnisée au même titre qu’une telle lésion corporelle, pour autant que le passager lésé démontre l’existence d’une atteinte à son intégrité psychique d’une gravité ou d’une intensité telles qu’elle affecte son état général de santé et qu’elle ne peut s’estomper sans traitement médical.
Signatures