Droit Aerien

ULM/Jurisprudence ULM

Manquements du pilote de nature à exclure le bénéfice de la garantie – TGI Versailles, 28 juin 2016, M.T… c/ AXA CS

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Les ULM sont exemptés de détenir un certificat de navigabilité au titre de l'article R. 133-1-2 du code de l'aviation civile ; ce certificat ne se confondant pas avec la carte d'identification ULM ou la licence de station, cette condition de garantie ne saurait être valablement invoquée par l'assureur. Toutefois, le pilote d'ULM qui manque à ses obligations au titre du règlement de la circulation aérienne (absence de documents obligatoires à bord) et qui se place en contravention des règles de l'air (non-respect des limites d'altitudes; vol aux instruments prohibés) commet plusieurs manquements de nature à exclure le bénéfice de la garantie de la police en contrevenant notamment aux conditions de garantie figurant dans les conditions générales communes du contrat d'assurance, ainsi qu'en commettant des actes justifiant l'exclusion de garantie.

 

Tribunal de grande instance de Versailles
Jugement du 28 juin 2016
M. T… c/ AXA CS

ATTERRISSAGE D’URGENCE. AERONEF DETRUIT. GARANTIE « DOMMAGES CORPS AERONEFS ». NON RESPECT DES CONDITIONS DE GARANTIES ET EXCLUSION DE GARANTIES

EXPOSE DU LITIGE :
M. François T… a souscrit le 16 janvier 2012 un contrat d’assurance multirisques aviation auprès de la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances (ci-après compagnie AXA) concernant un aéronef de type ULM Colomban MC30 «Luciole» immatriculé 78AHU. Le 21 mai 2012, M. François T… a été contraint, en raison des mauvaises conditions météorologiques, d’effectuer en urgence un posé en campagne dans un champ situé sur la commune de Le Grais (61). L’appareil a été détruit lors de l’atterrissage. François T… a effectué une déclaration de sinistre auprès de la compagnie AXA le 23 mai 2012 afin d’obtenir une indemnisation au titre de la garantie « dommages corps aéronef». La compagnie AXA a mandaté son expert, le cabinet Airclaims, afin d’évaluer les conditions dans lesquelles s’est produit l’accident. M. François T… a saisi la compagnie Protexia France dans le cadre d’un contrat protection juridique dont il bénéficie.
Par lettre du 22 janvier 2013, la compagnie AXA a informé la compagnie Protexia France que son analyse du dossier s’orientait vers un refus de garantie mais qu’elle restait dans l’attente du procès-verbal de gendarmerie.
Par télécopies en date des 05 décembre 2013 et 17 janvier 2014, le conseil de M. François T… a mis en demeure la compagnie AXA de régler à son client l’indemnité d’assurance contractuelle prévue de 31.000 euros. La compagnie AXA a refusé d’indemniser le sinistre.
Par assignation signifiée le 25 novembre 2014, M. François T… a introduit l’instance au fond contre la compagnie AXA et, par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 28 octobre 2015, demande au tribunal de:
– condamner la compagnie AXA à lui payer la somme de 29.500 euros en principal, outre intérêts au taux légal à compter du 05 septembre 2013 ;

– la condamner à lui payer la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice de jouissance ;

– ordonner la capitalisation des intérêts dans les termes et conditions prévues à l’article 1154 du code civil ;

– la condamner à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;

– la condamner aux entiers dépens avec distraction au profit de la SCP .. , avocat.

Au soutien de ses prétentions, M. François T… fait valoir en substance qu’il n’a commis aucun manquement de nature à justifier une exclusion de garantie. li soutient qu’aucune poursuite judiciaire n’a été engagée à son encontre à la suite de l’accident survenu le 21 mai 2012 et que l’enquête administrative diligentée par le conseil de discipline du personnel naviguant non professionnel a abouti à un classement du dossier avec absence totale de sanction. Il ajoute que, lors de son décollage, les conditions météorologiques lui permettaient de décoller pour un vol à vue et qu’il a respecté les minimas imposés par les règles de l’air. li soutient que la compagnie AXA ne rapporte pas la preuve qu’il s’exposait à un dommage inéluctable de sorte qu’aucune faute dolosive ne peut être retenue à son encontre. Enfin, il fait valoir qu’il a subi un préjudice d’agrément du fait de l’inexécution contractuelle de la société AXA qui n’a pas versé l’indemnisation due au titre de la police d’assurance souscrite et l’a empêché d’acquérir une nouvelle machine pour s’adonner à sa passion.

Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 21 septembre 2015, la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances demande au tribunal de :

– débouter M. François T… de ses demandes;
– le condamner à lui payer la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– le condamner aux entiers dépens avec distraction au profit de la SCP M….

Au soutien de sa défense, la compagnie AXA revendique le refus de garantie compte tenu du non-respect des conditions de garantie, de l’existence d’un cas d’exclusion de garantie ainsi que d’une faute dolosive commise par le demandeur. Elle fait valoir essentiellement que M. François T… a commis plusieurs manquements à la réglementation concernant les conditions de vol et que ces manquements ont été constatés dans l’enquête de gendarmerie. Elle soutient que l’accident est survenu à la suite de la décision inappropriée du demandeur d’entreprendre le vol à vue dans des conditions météorologiques qui ne le permettaient pas. Elle ajoute que M. François T… a poursuivi le vol sous le plafond nuageux, soit en-deçà des limites règlementaires. Elle soutient qu’il n’a pas préalablement à son vol identifié d’aérodrome de dégagement, ce qui l’a contraint à atterrir dans un champ. Enfin, elle fait valoir que le comportement de M. François T…, qui a volontairement pris des risques inconsidérés en effectuant un vol alors que les circonstances s’y opposaient, a commis une faute dolosive qui justifie une exclusion de garantie.

Le tribunal renvoie, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées pour l’exposé intégral des moyens et prétentions des parties.
L’ordonnance de clôture a été rendue le l er février 2016, l’affaire a été plaidée le 17 mai 2016 et mise en délibéré au 28 juin 2016.
MOTIFS:
Sur les conditions de prise en charge de la garantie :
Conformément aux dispositions de l’alinéa le, de l’article L.113-1 du code des assurances, « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ».
En l’espèce, l’article 5 des conditions générales communes du contrat d’assurance qui lient les parties stipule que la garantie n’est pas due d’une part, lorsque l’aéronef en évolution n’était pas « pourvu d’un certificat de navigabilité valide et non périmé » (article 5 a), d’autre part, lorsque le vol a été « entrepris ou poursuivi en infraction avec la réglementation concernant les conditions de vol et les qualifications qui s’y trouvent attachées, ce quel que soit l’équipement de l’aéronef» (article 5 c ).
L’article 3 d) des conditions générales communes susvisées prévoit en outre que sont toujours exclus les pertes ou dommages subis« du fait de l’utilisation intentionnelle de l’aéronef au-dessous des limites d’altitude de sécurité prévues par la règlementation en vigueur et en particulier du fait du vol dit« en rase-mottes », sauf cas fortuit ou de force majeure ».
A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que les ULM sont exemptés de détenir un certificat de navigabilité au titre de l’article R. 133-1-2 du code de l’aviation civile, ce certificat ne se confondant pas avec la carte d’identification ULM ou la licence de station. En conséquence, cette condition de garantie ne saurait être valablement invoquée en l’espèce par la société défenderesse.
S’agissant toutefois des manquements relevés à la réglementation concernant les conditions de vol, il ressort des éléments versés aux débats, notamment du procès verbal de synthèse de la brigade de gendarmerie des transports aériens de Deauville, que l’accident survenu le 21 mai 2012 résulte d’une « perte de contrôle de l’appareil [… ] lors de la phase d’atterrissage dans un champ cultivé à la suite d’une mauvaise décision d’entreprendre un vol à vue dans de telles conditions météorologiques ». Malgré ce que soutient le demandeur, ces conditions météorologiques défavorables sont établies par le rapport de la cellule « enquête-accident » de Météo France qui relève qu’au moment de l’accident, la visibilité avoisinait les 4.000 mètres seulement avec la présence de brouillard dont le plafond n’excédait pas 100 mètres. Les conditions de vol n’étaient pas non plus réunies lors du décollage puisque la visibilité avoisinait alors les 4.500 mètres avec des nuages dont la base oscillait entre 100 et 200 mètres.
Il convient en outre de relever à cet égard qu’il est indiqué en conclusion du procès­ verbal susmentionné qu « une bonne préparation du vol entrepris, notamment avec la constitution et l’étude d’un dossier météorologique, aurait été utile ».
Or, M. François T… ne conteste pas cette assertion et ne rapporte en tout état de cause pas la preuve qu’un tel document météorologique a été consulté par ses soins avant d’entreprendre le vol litigieux.
M. François T… a en outre manqué à plusieurs de ses obligations au titre du règlement de la circulation aérienne en ne présentant pas aux services de gendarmerie les documents de bord obligatoires, à savoir la carte d’identification munie de sa fiche d’identification, en volant avec l’ancienne identification de ) l’aéronef et en étant en possession d’une carte de vol datant de 1991 ne lui permettant pas d’identifier les zones à risque ou les possibilités de dégagement sur un autre aérodrome en cas de problème au cours du vol.

Si M. François T… n’a effectivement fait l’objet d’aucune sanction dans le cadre de la commission de discipline qui s’est tenue le 18 juin 2013, ladite commission, dans un courrier du même jour, a toutefois formulé plusieurs rappels à I’ordre eu égard aux infractions constatées par les gendarmes, enjoignant le demandeur à faire preuve d’une plus grande prudence dans la préparation de es vol de navigation notamment dans la prise en compte des minimas, règlementaires et dans l’identification des aérodromes de dégagement. Elle a relevé que « ces précautions élémentaires de sécurité [lui] auraient permis d’envisager [son] vol avec plus de discernement et de sérénité ». Elle ajoute qu’elle lui demande à l’avenir de veiller à détenir les documents exigés par la réglementation à bord de l’aéronef.
Par ailleurs, s’agissant des limites d’altitude, M. François T… a déclaré aux enquêteurs avoir volé à une altitude estimée entre 400 et 500 pieds (soit entre 121 et 152 mètres), soit en-deçà des minimas prévus à l’article 4.6 du chapitre 4 des règles de l’air pour le vol à vue. Revenant sur sa déclaration faites aux gendarmes il indique désormais dans ses écritures avoir volé à une altitude comprise entre 500 et 700 pieds soit entre 152,4 et 213 36 mètres). Toutefois, eu égard à la très faible altitude du plafond nuageux le jour de l’accident, le demandeur s’est nécessairement placé en contravention des règles de l’air, soit en ne respectant pas les minimas d’altitude susvisés, soit en effectuant un vol aux instruments prohibé en se plaçant au-dessus du plafond nuageux.
Ainsi, il y a lieu de relever que le demandeur a commis plusieurs manquements de nature à exclure le bénéfice de la garantie de la police en contrevenant notamment aux conditions de garantie prévues à l’article 5 c) des conditions générales communes du contrat d’assurance, ainsi qu’en commettant des actes justifiant l’exclusion de garantie prévue à l’article 3 d).
En conséquence, M. François T… sera déboulé de sa demande d’indemnisation au titre de la garantie « dommages corps aéronef ainsi que de celle au titre du préjudice de jouissance.

Sur les demandes accessoires :

[…]

PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort,
– Déboute M. François T… de ses demandes,
– Condamne M. François T… à payer à la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
– Condamne M. François T… aux dépens de l’in ·tance qui pourront être recouvrés dircctcmcnl par la SCP M… , conformément aux dispo. itions de l’article 699 du code de procédure civile.