Droit Aerien

INAD/Jurisprudence INAD/Obligation de réacheminement des INAD par les compagnies aériennes

L’absence d’escorte à bord et le refus d’embarquer émis par le passager, qui a déjà fait l’objet de tentatives de réacheminement antérieures, justifient le refus d’embarquement par la compagnie sollicitée CAA Paris, 14 octobre 2022, n°20PA02729

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L'absence d'escorte à bord et le refus d'embarquer d'un passager inadmissible qui a déjà fait l'objet de plusieurs tentatives de réacheminement (il s'agissait de la cinquième en l'espèce) justifient le refus du commandant de bord de réacheminer le passager, s'il est décidé au regard du risque présenté pour la sécurité de l'avion ou de ses occupants. La sanction administrative infligée à la compagnie dans ces circonstances est donc infondée. 

 

Cour administrative d’appel de Paris, 4ème chambre, 14 octobre 2022, 20PA02729, inédit au recueil Lebon ;

 

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La compagnie X… a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler la décision R/17-1071 du 13 novembre 2018 par laquelle le ministre de l’intérieur lui a infligé une amende de 20 000 euros sur le fondement de l’article L. 625-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou de la décharger du paiement de l’amende.

Par un jugement n° 1900714/3-3 du 16 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 septembre 2020, le 13 juillet 2022, la compagnie X…, représentée par Me P…, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) d’annuler cette décision ou de la décharger du paiement de l’amende ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

[…]

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision R/17-1071 du 13 novembre 2018, le ministre de l’intérieur a infligé à la compagnie X…, sur le fondement de l’article L. 625-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, une amende de 20 000 euros pour avoir manqué à son obligation de réacheminer une passagère, de nationalité paraguayenne, alors que cette dernière avait fait l’objet d’une décision de refus d’entrée sur le territoire français. La compagnie X… relève appel du jugement du 16 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision.

Sur les obligations des entreprises de transport aérien :

2. D’une part, en application de l’article 26 de la convention d’application de l’accord de Schengen signée le 19 juin 1990, les États signataires se sont engagés à instaurer l’obligation pour les entreprises de transport de « reprendre en charge sans délai » les personnes étrangères dont l’entrée sur le territoire de ces États a été refusée et de les ramener vers un État tiers. Selon l’article 3 de la directive 2001/51/CE du 28 juin 2001 complétant les stipulations précitées, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour imposer aux transporteurs l’obligation de trouver immédiatement le moyen de réacheminer les ressortissants de pays tiers dont l’entrée dans l’espace Schengen est refusée. L’article L. 213-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile alors applicable, pris pour la transposition de cette directive, devenu l’article L. 333-3, dispose : « Lorsque l’entrée en France est refusée à un étranger non ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, l’entreprise de transport aérien ou maritime qui l’a acheminé est tenue de ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, cet étranger au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d’impossibilité, dans l’Etat qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis ». Le 1 de l’article L. 625-7 du même code, dans la rédaction alors applicable, déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 et devenu l’article L. 821-10, prévoit qu’est punie d’une amende d’un montant maximal de 30 000 euros « L’entreprise de transport aérien ou maritime qui ne respecte pas les obligations fixées aux articles L. 213-4 à L. 213-6 ».

3. D’autre part, aux termes de l’article L. 6522-3 du code des transports : « Le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes embarquées. Il a la faculté de débarquer toute personne parmi l’équipage ou les passagers, ou toute partie du chargement, qui peut présenter un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l’aéronef ». Aux termes de l’annexe III au règlement n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 modifiant le règlement n° 3922/91 du Conseil en ce qui concerne les règles techniques et procédures administratives communes applicables au transport commercial par avion, alors en vigueur : « OPS 1085. Responsabilité de l’équipage / Le commandant de bord () a le droit de refuser de transporter des passagers non admis, des personnes expulsées ou des personnes en état d’arrestation si leur transport présente un risque quelconque pour la sécurité de l’avion ou de ses occupants. () OPS 1265. Transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention. / L’exploitant doit établir des procédures pour le transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention afin d’assurer la sécurité de l’avion et de ses occupants. Le transport d’une de ces personnes doit être notifié au commandant de bord ».

4. Il résulte de ces dispositions et, s’agissant de celles de l’article L. 213-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de l’interprétation donnée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021, que les entreprises de transport aérien sont tenues d’assurer sans délai, à la requête des services de police aux frontières, la prise en charge et le transport des personnes de nationalité étrangère non admises sur le territoire français. Elles doivent établir des procédures internes permettant d’assurer la sécurité des aéronefs et de leurs occupants lors du transport de passagers non admissibles ou refoulés, sans que les en dispense la faculté donnée au commandant de bord par l’article L. 6522-3 du code des transports de débarquer toute personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l’aéronef. Ces dispositions n’ont toutefois ni pour objet, ni pour effet de mettre à la charge de ces entreprises une obligation de surveiller la personne devant être réacheminée ou d’exercer sur elle une contrainte, de telles mesures relevant de la seule compétence des autorités de police.

5. Pour déterminer s’il y a lieu de sanctionner l’entreprise de transport et fixer le montant de la sanction prévue par l’article L. 625-7 devenu L.821-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’administration doit prendre en compte, notamment, le comportement du passager et les diligences accomplies par l’entreprise pour respecter ses obligations, au nombre desquelles figure la mise en place de procédures de réacheminement. Mais l’impossibilité dûment établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, alors qu’il n’incombe pas au transporteur de pourvoir à la surveillance de l’intéressé et qu’il ne lui appartient pas d’exercer sur lui une contrainte, constitue une circonstance exonératoire.

Sur le bien-fondé de l’amende :

6. Il résulte de l’instruction que les services de la police aux frontières de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ont requis, le 27 juin 2017, la compagnie X… pour assurer sans délai, par un vol prévu le même jour à 23 heures 30 ou par tout autre moyen, le réacheminement vers Rio de Janeiro de Mme A, de nationalité paraguayenne, ayant fait l’objet d’un refus d’admission sur le territoire français le 23 juin 2017. Par un procès-verbal du 27 juin 2017, les mêmes services ont constaté le défaut de réacheminement de Mme A, le commandant de bord ayant refusé de prendre en charge l’intéressée en l’absence d’escorte de la compagnie X… et du refus d’embarquer de l’intéressée.

7. Il résulte de l’instruction qu’un billet avait été émis et un siège réservé pour la passagère, dont c’était la cinquième tentative de réacheminement. Si le ministre fait valoir, en premier lieu, que la compagnie X… n’a pas mis en place une procédure de nature à permettre le réacheminement, il résulte du procès-verbal établi le 27 juin 2017 que l’intéressée a pu, sous escorte policière, embarquer par un escabeau placé à l’arrière de l’appareil. En second lieu, si le ministre soutient qu’il ne ressort pas du procès-verbal que Mme A, aurait montré de l’agitation ou un comportement pouvant amener légitimement le commandant de bord à refuser son embarquement, il ressort de la décision de ce dernier de débarquer l’intéressée, qui avait déjà fait l’objet de plusieurs tentatives d’embarquement infructueuses et avait manifesté son refus d’être réacheminée, qu’elle a été prise au regard du risque présenté par celle-ci pour la sécurité de l’avion ou de ses occupants. Par suite, la société est fondée à demander, dans les circonstances de l’espèce, l’annulation de la sanction qui lui a été infligée et la décharge du paiement de l’amende.

8. Il résulte de ce qui précède que la compagnie X… est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’intérieur du 13 novembre 2018 lui infligeant une amende de 15 000 euros.

 

[…]

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris n° 1900714/3-3 du 16 juillet 2020 et la décision R/17-1071 du 13 novembre 2018 du ministre de l’intérieur sont annulés.

Article 2 : L’Etat versera à la compagnie X… une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la compagnie X… et au ministre de l’intérieur et des outre-mer.

 

Observations :

Dans le même sens, ont été rendus par la Cour administrative d’appel de Paris les arrêts :

  • n°20PA02800  du 14 octobre 2022 (en l’espèce, il s’agissait de la huitième tentative de réacheminement du passager, qui refusait de s’asseoir tout en présentant des signes d’agressivité) ;
  • n°22PA04644 du 8 juin 2023 (en l’espèce, il s’agissait de la septième tentative de réacheminement) ;
  • n°22PA04642 du 8 juin 2023 (en l’espèce, il s’agissait de la douzième tentative de réacheminement) ;
  • n°22PA03913 du 30 juin 2023 (en l’espèce, il s’agissait de la deuxième tentative de réacheminement du passager. De plus, le débarquement s’était fait en accord avec la Police aux Frontières, qui avait prévenu le commandant de bord que le départ risquait probablement de ne pas avoir lieu en raison de l’opposition du passager. Enfin, le vol comprenait déjà de nombreux passagers à particularités) ;
  • n°22PA01271 du 17 juillet 2023 (en l’espèce, il s’agissait de la deuxième tentative de réacheminement) ;
  • n°22PA04630 du 19 mars 2024 (en l’espèce, il s’agissait de la deuxième tentative de réacheminement) ;
  • n°22PA04631 du 19 mars 2024 (en l’espèce, il s’agissait de la quatrième tentative de réacheminement).