Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler la décision R/17-1063 du 14 novembre 2018 par laquelle le ministre de l’intérieur lui a infligé une amende de 15 000 euros sur le fondement de l’article L. 625-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou de la décharger du paiement de l’amende.
Par un jugement n° 1900747/3-3 du 16 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 septembre 2020 et le 31 août 2022, la société Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) d’annuler cette décision ou de la décharger du paiement de l’amende ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
[…]
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision R/17-1063 du 14 novembre 2018, le ministre de l’intérieur a infligé à la société Air France, sur le fondement de l’article L. 625-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, une amende de 15 000 euros pour avoir manqué à son obligation de réacheminer un passager de nationalité marocaine qu’elle avait débarqué sur le territoire français le 14 juin 2017 en provenance de Rabat, alors que ce passager avait fait l’objet d’une décision de refus d’entrée sur le territoire français le même jour. La société Air France relève appel du jugement du 16 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision.
Sur les obligations des entreprises de transport aérien :
2. D’une part, en application de l’article 26 de la convention d’application de l’accord de Schengen signée le 19 juin 1990, les États signataires se sont engagés à instaurer l’obligation pour les entreprises de transport de « reprendre en charge sans délai » les personnes étrangères dont l’entrée sur le territoire de ces États a été refusée et de les ramener vers un État tiers. Selon l’article 3 de la directive 2001/51/CE du 28 juin 2001 complétant les stipulations précitées, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour imposer aux transporteurs l’obligation de trouver immédiatement le moyen de réacheminer les ressortissants de pays tiers dont l’entrée dans l’espace Schengen est refusée. L’article L. 213-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile alors applicable, pris pour la transposition de cette directive, devenu l’article L. 333-3, dispose : « Lorsque l’entrée en France est refusée à un étranger non ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, l’entreprise de transport aérien ou maritime qui l’a acheminé est tenue de ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, cet étranger au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d’impossibilité, dans l’Etat qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis ». Le 1 de l’article L. 625-7 du même code, dans la rédaction alors applicable, déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 et devenu l’article L. 821-10, prévoit qu’est punie d’une amende d’un montant maximal de 30 000 euros « L’entreprise de transport aérien ou maritime qui ne respecte pas les obligations fixées aux articles L. 213-4 à L. 213-6 ».
3. D’autre part, aux termes de l’article L. 6522-3 du code des transports : « Le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes embarquées. Il a la faculté de débarquer toute personne parmi l’équipage ou les passagers, ou toute partie du chargement, qui peut présenter un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l’aéronef ». Aux termes de l’annexe III au règlement n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 modifiant le règlement n° 3922/91 du Conseil en ce qui concerne les règles techniques et procédures administratives communes applicables au transport commercial par avion, alors en vigueur : « OPS 1085. Responsabilité de l’équipage / Le commandant de bord () a le droit de refuser de transporter des passagers non admis, des personnes expulsées ou des personnes en état d’arrestation si leur transport présente un risque quelconque pour la sécurité de l’avion ou de ses occupants. () OPS 1265. Transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention. / L’exploitant doit établir des procédures pour le transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention afin d’assurer la sécurité de l’avion et de ses occupants. Le transport d’une de ces personnes doit être notifié au commandant de bord ».
4. Il résulte de ces dispositions et, s’agissant de celles de l’article L. 213-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de l’interprétation donnée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021, que les entreprises de transport aérien sont tenues d’assurer sans délai, à la requête des services de police aux frontières, la prise en charge et le transport des personnes de nationalité étrangère non admises sur le territoire français. Elles doivent établir des procédures internes permettant d’assurer la sécurité des aéronefs et de leurs occupants lors du transport de passagers non admissibles ou refoulés, sans que les en dispense la faculté donnée au commandant de bord par l’article L. 6522-3 du code des transports de débarquer toute personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l’aéronef. Ces dispositions n’ont toutefois ni pour objet, ni pour effet de mettre à la charge de ces entreprises une obligation de surveiller la personne devant être réacheminée ou d’exercer sur elle une contrainte, de telles mesures relevant de la seule compétence des autorités de police.
5. Pour déterminer s’il y a lieu de sanctionner l’entreprise de transport et fixer le montant de la sanction prévue par l’article L. 625-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’administration doit prendre en compte, notamment, le comportement du passager et les diligences accomplies par l’entreprise pour respecter ses obligations, au nombre desquelles figure la mise en place de procédures de réacheminement. Mais l’impossibilité dûment établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, alors qu’il n’incombe pas au transporteur de pourvoir à la surveillance de l’intéressé et qu’il ne lui appartient pas d’exercer sur lui une contrainte, constitue une circonstance exonératoire.
Sur le bien-fondé de l’amende :
6. Il résulte de l’instruction que les services de la police aux frontières de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ont requis, le 21 juin 2017, la compagnie aérienne Air France pour assurer sans délai, par un vol prévu le 22 juin 2017 à 11 heures 10 ou par tout autre moyen, le réacheminement vers Rabat de M. A, de nationalité marocaine, ayant fait l’objet d’un refus d’admission sur le territoire français le 14 juin 2017. Par deux procès-verbaux du 9 juin 2017 à 9 heures 10 et 14 heures 05, les mêmes services ont constaté le défaut de réacheminement de M. A, après que le commandant de bord eut pris la décision de le débarquer, au motif qu’il « présent(ait) un comportement risqué pour la sécurité en cabine ».
7. Il résulte de l’instruction qu’un billet avait été émis et un siège réservé pour le passager, dont c’était la troisième tentative de réacheminement. Si le ministre soutient qu’il ne résulte pas de l’instruction que M. A aurait manifesté un comportement agressif ou dangereux pouvant amener légitimement le commandant de bord à refuser son embarquement, il ne ressort d’aucun élément du dossier que la décision de ce dernier de débarquer l’intéressé aurait été prise pour un motif autre que celui mentionné au point 6, tiré du risque présenté par l’intéressé pour la sécurité de l’avion ou de ses occupants. Par suite, la société est fondée à demander, dans les circonstances de l’espèce, l’annulation de la sanction qui lui a été infligée et la décharge du paiement de l’amende.
8. Il résulte de ce qui précède que la société Air France est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’intérieur du 14 novembre 2018 lui infligeant une amende de 15 000 euros.
[…]
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1900747/3-3 du 16 juillet 2020 du tribunal administratif de Paris et la décision R/17-1063 du 14 novembre 2018 du ministre de l’intérieur sont annulés.
Article 2 : L’Etat versera à la société Air France une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Observations :
La Cour administrative d’appel de Paris a rendu le 30 septembre 2022 un arrêt n°21PA00784 dans le même sens, qui renforce encore plus le pouvoir de refus du commandant de bord, puisqu’en l’espèce, non seulement il ne résultait pas de la décision du commandant de bord que la passagère avait présenté un comportement agité ou violent, ni même seulement manifesté un refus d’embarquer. Pour autant, il ne ressortait d’aucun élément du dossier que la décision du commandant de bord de débarquer la passagère n’aurait pas été prise en considération du risque présenté par celle-ci pour la sécurité de l’avion ou de ses occupants. La décision infligeant l’amende litigieuse avait donc été annulée.