Texte intégral
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-6
(anciennement dénommée la 10ème chambre).
ARRÊT AU FOND
DU 12 DECEMBRE 2019
N° 2019/473
Rôle N° RG 18/17025
N° Portalis DBVB-V-B7C-BDH6Q
B X
C/
GIE LA REUNION AERIENNE
Mutuelle LA CAISSE ASSURANCE MALADIE DES INDUSTRIES ELECTRI QUE ET GAZIERE (CAMIEG)
Société IRCEM PREVOYANCE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– SELARL LEVY DRAHI AVOCATS
-Me Dahlia MONTERROSO
-SCP VINSONNEAU PALIES-NOY-GAUER & ASSOCIES
-Me Pascal ALIAS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 04 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 15/14636.
APPELANTE
Madame B X
Immatriculée à la sécurité sociale sous le n° 2 65 130 105 58 98/40.
née le […] à MARSEILLE
de nationalité Française,
demeurant […]
représentée et assistée par Me Laurent LEVY de la SELARL LEVY DRAHI AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Tiphaine GERVAIS DE LAFOND, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant.
INTIMEES
GIE LA REUNION AERIENNE,
demeurant […]
r e p r é s e n t é e p a r M e D a h l i a M O N T E R R O S O , a v o c a t a u b a r r e a u d’AIX-EN-PROVENCE, postulant et assistée par Me Maxime MALKA, avocat au barreau de PARIS, plaidant.
Mutuelle LA CAISSE ASSURANCE MALADIE DES INDUSTRIES ELECTRI QUE ET GAZIERE (CAMIEG),
demeurant […]
r e p r é s e n t é e p a r M e R é g i s C O N S T A N S d e l a S C P V I N S O N N E A U PALIES-NOY-GAUER & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE.
Société IRCEM PREVOYANCE,
demeurant […]
représentée par Me Pascal ALIAS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 30 Octobre 2019 en audience publique. Conformément à l’article 785 du code de procédure civile, Madame Anne VELLA, Conseiller, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président
Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller
Madame Anne VELLA, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Décembre 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Décembre 2019,
Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé des faits et procédure
Le 23 août 2010, Mme B X a été victime d’un accident de parapente lors d’une manifestation aérienne organisée par l’Aéro-club national des électriciens et gaziers, alors qu’elle était passagère d’un vol en biplace avec fauteuil ‘handicare’. Lors de la phase de décollage une modification de l’aérologie a fait brusquement redescendre le parapente et la jambe de Mme X a été coincée sous le fauteuil, provoquant une fracture du fémur.
Le vol a été réalisé par l’association Cotentin vol libre, assurée auprès de la société la Réunion Aérienne, et avec le concours de M. D E, pilote et de M. F Z, treuilleur de parapente.
Par acte du 11 février 2011, Mme X a saisi le juge des référés par voie d’assignation diligentée à l’encontre de la société la Réunion aérienne pour voir ordonner une expertise et obtenir une provision.
Selon ordonnance du 16 mai 2011, rectifiée le 10 juin 2011, le juge des référés a désigné le docteur Y pour évaluer les conséquences médico-légales de l’accident et il a alloué à Mme X une provision de 10.000€ à valoir sur l’indemnisation de son préjudice corporel.
À titre amiable une provision complémentaire de 20.000€ lui a été versée.
L’expert a déposé son rapport le 2 septembre 2013.
Par acte du 1er décembre 2015, Mme X a fait assigner la société la Réunion aérienne devant le tribunal de grande instance de Marseille pour obtenir sa condamnation à réparer son préjudice subi à la suite de l’accident dont elle a été victime le 23 août 2010 et sur le fondement des articles L. 6421-4 et suivants du code des transports et de la convention de Varsovie du 12 octobre 1929 modifiée par le protocole additionnel signé à Montréal le 25 septembre 1975.
La société la Réunion aérienne a soulevé la fin de non recevoir tirée de la prescription du délai de deux ans prévue par l’article L. 6422-5 du code des transports.
Selon jugement du 4 septembre 2018, le tribunal a :
– constaté la prescription de l’action intentée par Mme X et du recours subrogatoire de la Camieg, en sa qualité de tiers payeur ;
– condamné Mme X aux entiers dépens ;
– déclaré le jugement commun et opposable à l’Ircem Prévoyance.
Il a constaté que les parties s’accordent sur le fait que le litige est régi par les dispositions prévues par les articles L. 6421-4 et suivants du code des transports, qui renvoient à la convention internationale de Varsovie s’agissant d’un accident survenu dans le cadre d’un vol biplace de parapente au cours duquel Mme X avait la qualité de passagère.
Il a considéré que le fondement de l’article L. 6422-5 du code des transports qui énonce un délai de forclusion de deux ans et des articles 2241 et 2239 du code civil que Mme X était prescrite au jour de son assignation diligentée le 1er décembre 2015 soit donc plus de deux ans après du rapport d’expertise soit le 2 septembre 2013.
Pour répondre au moyen soulevé par Mme X qui soutient que son action n’était pas prescrite au motif qu’une conciliation avait débuté entre les parties laquelle a suspendu le délai de prescription, le tribunal a rappelé les dispositions de l’article 2238 du code civil dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016, venant circonscrire la suspension du cours de la prescription.
Il a considéré qu’il résultait des pièces versées que les parties se sont rapprochées pour s’accorder sur le versement d’une provision complémentaire antérieurement au dépôt du rapport définitif du médecin expert, mais qu’aucun élément ne permet d’établir qu’elles ont recouru à l’une des procédures prévues par l’article 2238 précité, dans le but de trouver un accord mettant fin au litige. En conséquence, Mme X qui ne peut invoquer aucune suspension de la prescription résultant de l’ouverture d’une conciliation entre les parties, a été déclarée prescrite en son action.
Par déclaration du 25 octobre 2018, dont la régularité et la recevabilité, ne sont pas contestées, Mme X a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
Prétentions et moyens des parties
Selon ses conclusions du 27 septembre 2019, Mme X demande à la cour de :
‘ constater l’absence de transport aérien au sens de l’article L. 6400-1 du code des transports ;
‘ constater au visa de l’article 1242 du code civil qu’elle a été victime d’un accident au sol provoqué par un treuillage non adapté, ni maîtrisé, alors même que le vol était achevé ;
‘ constater la dangerosité de la piste de décollage présentant une ornière ;
‘ réformer en conséquence le jugement qui a déclaré son action irrecevable ;
‘ juger qu’elle a subi un accident d’aéronef au sol entraînant la responsabilité de l’association Cotentin vol libre sur le fondement de l’article 1242 alinéas 1er et 5 du code civil ;
‘ juger que son action est soumise au délai de prescription décennale et parfaitement recevable au jour de la saisine de la juridiction de première instance ;
à titre subsidiaire
‘ constater l’existence d’une conciliation entre les parties ;
‘ juger que l’action qu’elle a intentée à l’encontre de la société Réunion aérienne est recevable sur le fondement de l’article 2238 du code civil ;
‘ constater l’existence d’un vol de parapente réalisé à titre gratuit ;
‘ constater la reconnaissance de leurs fautes par les organisateurs ;
‘ juger que le transporteur aérien a commis une faute inexcusable telle que définie à l’article L. 6422-3 du code des transports ;
‘ juger que cette faute inexcusable le prive de la limitation de responsabilité prévue aux articles L. 6421-4 et L. 6422-3 du code des transports et envisageant la somme maximale de 114’336,76€ ;
‘ homologuer en conséquence le rapport du docteur Y ;
‘ condamner la société Réunion aérienne à lui payer la somme de 439.635,86€ déduction faite des provisions versées au titre de l’indemnisation de son préjudice corporel ;
‘ la condamner au paiement de la somme de 3500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation issue d’un arrêt du 27 février 2007, elle demande à la cour d’appliquer le droit commun, l’accident dont elle a été victime étant un accident d’aéronef au sol, en lien avec le défaut de maîtrise du treuil. En effet pour qu’il y ait transport aérien, il faut a minima un gonflage de la voile achevée, laissant place à un vol, or en l’espèce le gonflage de la voile n’a pas abouti. En conséquence le régime d’indemnisation de droit commun doit trouver application sur le fondement de l’article 1242 du code civil.
À titre subsidiaire si la cour devait retenir l’existence d’un vol, il apparaît qu’une fois achevé, elle a été victime d’un accident causé par un aéronef au sol en raison de la dangerosité de la piste de décollage. Dans l’hypothèse d’une défectuosité de l’appareil avant le décollage, la Cour de cassation dans son arrêt précité a retenu l’application du droit commun. Par accident d’un aéronef au sol il faut donc entendre au visa de l’article 1242 un défaut de l’appareil ou un défaut de maîtrise de cet appareil qui n’opère pas un vol. Si elle a été traînée sur plusieurs dizaines de mètres c’est bien que le treuillage a continué alors même que le parapente se trouvait au sol et que le prétendu vol s’était achevé. Il résulte des divers témoignages que l’opération de treuillage a perduré une fois l’ensemble pilote/fauteuil immobilisé au sol. C’est un défaut de maîtrise au moment du treuillage par le gardien du treuil alors que le parapente était au sol qui est à l’origine de l’accident, ce que M. Z qui était treuilleur a lui-même reconnu. C’est dans cette deuxième phase de l’accident qu’elle a été sérieusement blessée puisque après retour au sol, sa jambe gauche s’est retrouvé coincée sous le fauteuil et a été traînée sur plusieurs dizaines de mètres et la cause de l’accident est liée à un défaut de maîtrise des pilotes entre le décollage qui a échoué par le dégonflage de la voile, et l’arrêt du treuillage, une fois le fauteuil au sol.
L’association Cotentin vol libre affiliée à la fédération française de vol libre était bien gardienne de l’aéronef et préposée du pilote du treuil.
Selon les pilotes eux-mêmes, le fauteuil dans lequel elle se trouvait a basculé en raison d’une ornière présente sur la piste de décollage, ce qui constitue un élément de dangerosité qui aurait dû conduire les organisateurs à annuler le vol, et le risque présenté par la piste de décollage a été mal apprécié. La preuve du caractère anormalement dangereux est établie.
En considérant l’ensemble de ces événements, la seule prescription applicable est la prescription décennale de droit commun et les dispositions du code des transports ne peuvent trouver application à raison d’un accident survenu au sol.
C’est à titre infiniment subsidiaire qu’elle soutient qu’il existait une procédure de conciliation entre les parties qui a suspendu la prescription biennale prévue par le code des transports. Elle entend préciser qu’au sens de l’article 2238 du code civil :
– la loi ne prévoit aucun formalisme d’ouverture de la procédure de conciliation et ne s’attache qu’aux critères de rapprochement des parties afin d’entamer des discussions,
– il existait un désaccord entre elle et l’assureur sur le principe d’une procédure amiable ou judiciaire et sur le montant de l’indemnisation.
C’est volontairement que les parties sont sorties de ce cadre judiciaire pour entrer dans un cadre de conciliation devant permettre le règlement du litige. Elle en veut pour preuve le désistement d’instance du 10 septembre 2012 de la procédure de référé aux termes de laquelle elle sollicitait le versement d’une provision complémentaire d’indemnisation. Les échanges ont porté non seulement sur le versement d’une somme provisionnelle de 20.000€ mais aussi sur l’indemnisation définitive du préjudice corporel, le but étant de mettre fin au litige en suspendant toute procédure. Elle fait observer que la provision amiable qui lui a été versée et nettement inférieure à celle qu’elle avait sollicitée devant le juge des référés. La mise en ‘uvre d’une telle conciliation a entraîné la suspension du délai jusqu’à l’issue de cette procédure amiable qui devait amener les parties vers une transaction sur la base du rapport d’expertise médico-légale à venir.
Si la cour devait admettre que les dispositions du code des transports sont applicables, elle devra considérer qu’elle a effectué un vol à titre gratuit pour lequel les organisateurs du vol ont expressément reconnu la faute commise. Elle ajoute qu’il existe une faute inexcusable commise dans l’organisation de ce vol qui vient exclure toute limitation de son indemnisation. En effet dans un compte rendu, le pilote et le treuilleur mentionnent les facteurs à l’origine de l’accident :
– le poids et la passagère 90 kg alors qu’elle faisait vraisemblablement 110 kg,
– l’aérologie instable au sol due au peu de vent météo et aux variations de sa direction,
– une ornière sur la piste de décollage.
Il s’agit là de facteurs de risque importants largement vérifiables avant la prise de décision du vol, dont elle n’a elle-même pas été informée. Le pilote ne pouvait ignorer qu’un dommage pourrait probablement en résulter.
Elle incrimine également, le défaut d’information sur les instructions élémentaires de sécurité. En conséquence le transporteur ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 22 de la Convention de Varsovie et aucune limitation de responsabilité ne peut lui être opposée.
Elle chiffre son préjudice de la façon suivante :
– frais d’assistance à expertise : 1000€,
– perte de gains professionnels actuels du 23 août 2010 au 1er février 2013 : 18’332€, sous déduction des indemnités journalières,
– dépenses de santé futures : 624€ au titre de la prise en charge psychiatrique,
– perte de gains professionnels futurs : la reprise d’activité professionnelle est impossible, cette perte doit être évaluée sur la base d’un revenu mensuel moyen de 625,44€ net, et d’une pension d’invalidité mensuelle de 130,97€ net depuis le 23 août 2013, soit une somme de 74’960€ lui revenant,
– perte de retraite : 86’470€,
– incidence professionnelle : 60’000€ au titre de l’impossibilité de se réorienter,
– assistance par tierce personne temporaire : à raison de 3 heures par jour sur 893 jours sur un taux horaire de 20€ la somme de 50’580€,
– assistance par tierce personne permanente à raison d’une par jour pendant un an sur un taux horaire de 20€ : 7300€,
-frais de logement : 14’369,86€ au titre de l’aménagement de salle de bain,
– déficit fonctionnel temporaire total de 67 jours : 2500€,
– déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 50 % de 608 jours : 11’000€,
– déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 30 % de 182 jours : 2200€,
– déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 10 % de 31 jours : 300€,
– déficit fonctionnel permanent 25 % : 65’000€,
– souffrances endurées 4,5/7 : 30’000€,
– préjudice esthétique 2/7 : 12’000€,
– préjudice d’agrément : 20’000€,
– préjudice sexuel par difficultés positionnelles perte de libido : 10’000€.
Par conclusions du 4 juillet 2019, la société la Réunion aérienne demande à la cour :
à titre principal de :
‘ confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
‘ juger que l’action au fond engagée par Mme X à son encontre est prescrite, et par voie de conséquence les recours subrogatoires de la Camieg et de l’Ircem le sont aussi ;
‘ déclarer irrecevable et mal fondé l’ensemble des demandes formées par Mme X, la Camiez et l’Ircem à son encontre ;
‘ ordonner la restitution de la somme de 30.000€ qu’elle a réglée à Mme X à titre provisionnel le 14 janvier 2013 ;
à titre subsidiaire, de :
‘ juger qu’elle est fondée à se prévaloir de la limitation de responsabilité prévue aux articles L. 6421-4 et L. 6422-3 du code des transports ;
‘ déclarer opposable aux parties cette limitation de responsabilité ;
‘ juger par conséquent qu’elle ne saurait être tenue à l’égard de Mme X et des tiers payeurs et de tout autre ayant droit au-delà de la limitation c’est-à-dire la somme maximale tous préjudices confondus de 114.336,76€ ;
‘ lui donner acte de ce qu’elle a d’ores et déjà réglé une avance de 30.000€ le 14 janvier 2013, somme qui viendra en déduction de celle qui sera allouée à Mme X au titre de son préjudice ;
à titre encore plus subsidiaire ;
‘ réduire de façon sensible les sommes réclamées par Mme X au titre de ses préjudices ;
‘ débouter les demandeurs de l’ensemble de leurs demandes.
Elle soutient que ce sont les dispositions du code des transports qui doivent s’appliquer. Le parapente est considéré par la jurisprudence comme un aéronef et le vol en parapente comme un transport aérien soumis au code des transports. Selon la Cour de cassation le baptême de l’air en parapente inclut nécessairement les phases de décollage et d’atterrissage dont notamment les phases de préparation telles que le harnachement et l’installation nécessaires à l’exécution du transport. Il résulte des éléments du dossier que le parapente avait réussi son décollage et qu’il était bien dans les airs lorsque l’accident à eu lieu. Tous les témoignages concordent pour dire que le parapente s’est bien trouvé dans les airs et qu’il s’est écrasé au sol quelques instants après le décollage.
L’action de Mme X est prescrite en vertu des dispositions de l’article L. 6422-5 du code des transports, et des dispositions du code civil régissant l’interruption des délais de prescription. Le jugement devra être confirmé de ce chef.
Contrairement à ce que soutient Mme X, aucune conciliation au sens de l’article 2238 du code civil, susceptible d’interrompre la prescription, n’est intervenue entre les parties. Le règlement de la somme de 20.000€ à titre provisionnel ne présage en rien de sa position en tant qu’assureur quant au fond du litige et sur l’indemnisation intégrale sur laquelle aucun accord n’est intervenu et le jugement sera confirmé.
À titre subsidiaire, le pilote a reconnu sa responsabilité dans l’accident et elle n’entend pas la contester. Elle prétend néanmoins se prévaloir de la limitation prévue par l’article L. 6421-4 du code des transports et elle ne peut être tenue au-delà de la somme de 114’336,76€.
Pour que le déplafonnement de cette somme soit retenu, la faute commise par le pilote aux commandes du parapente biplace accidenté doit être une faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable comme le prévoit l’article L. 6422-3 du code des transports. Or l’accident dont Mme X a été victime ne ressort ni d’une action téméraire, ni d’une imprudence voire d’une négligence fautive de la part du pilote. En effet le retour au sol du parapente n’est pas dû à une action téméraire du pilote mais à une aérologie instable au sol, liée au peu de vent météo et aux variations de sa direction, rendant inévitable le retour au sol du parapente et l’accident a été causé par la présence d’une ornière qui n’était pas visible, située à plusieurs dizaines de mètres du point de décollage, et qui a provoqué le basculement du fauteuil après son retour au sol. Le pilote n’a donc pas commis de faute inexcusable au sens de la convention de Varsovie.
Ce n’est qu’à titre infiniment subsidiaire qu’elle formule des offres d’indemnisation :
– frais d’assistance à expertise : 1000€,
– perte de gains professionnels actuels : rejet, la demande d’indemnisation étant fondée sur un rapport d’expertise comptable non contradictoire, et non judiciaire,
– dépenses de santé futures : 624€ sous réserve de déduction de la partie prise en charge par la sécurité sociale et la mutuelle,
– perte de gains professionnels futurs : rejet, la demande d’indemnisation étant fondée sur un rapport d’expertise comptable non contradictoire judiciaire,
– incidence professionnelle : 5000€,
– assistance par tierce personne : 30’440€ sur la base d’un coût horaire de 10€,
– frais de logement : rejet, Mme X présentant avant l’accident un handicap fonctionnel et le lien de causalité entre l’accident et l’adaptation de la salle de bains n’étant pas établi,
– déficit fonctionnel temporaire sur une base journalière de 25€ soit :
‘ pour le déficit fonctionnel temporaire total 1725€,
‘ pour le déficit fonctionnel temporaire total à 50 % : 7625€,
‘ pour le déficit fonctionnel temporaire partiel à 30 % : 1372,50€,
‘ pour le déficit fonctionnel temporaire partiel à 10 % : 80€,
– déficit fonctionnel permanent 6 %, correspondant au taux retenu par l’expert judiciaire dans son pré-rapport et qui ne fournit aucune explication sur le taux finalement retenu à hauteur de 25 % dans son rapport définitif, soit la somme de 7620€ et à défaut la somme de 46’750€ si le taux de 25 % devait être retenu,
– souffrances endurées 4,5/7 : 15’000€,
– préjudice esthétique 2/7 : 2000€,
– préjudice d’agrément : rejet faute de justificatif de la pratique des activités de loisirs allégués,
– préjudice sexuel : rejet, ce préjudice n’est pas établi, l’expert ayant uniquement relevé les doléances de la victime sans conclure à sa réalité au sens de la définition médico-légale.
Par conclusions du 3 avril 2019, la caisse d’assurance-maladie des industries électriques et gazières, demande à la cour de :
‘ fixer à la somme de 60.763,26€ le montant des débours qu’elle a exposés, en relation directe avec l’accident dont Mme X a été victime le 23 août 2010 ;
dans l’hypothèse d’une infirmation du jugement,
‘ condamner la société la Réunion aérienne au paiement de cette somme ;
‘ la condamner au paiement de la somme de 1000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile et au paiement de l’indemnité forfaitaire de gestion prévue par l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale d’un montant de 1080€ ;
‘ la condamner enfin aux entiers dépens.
Elle indique qu’elle est subrogée dans les droits de son assuré à concurrence des préjudices indemnisés et qu’elle entend faire valoir son recours dans le cas où la décision serait réformée et la responsabilité des intimés, consacrée. Ses débours correspondent pour 60.241,02€ à des dépenses en nature, et pour 522,24€ à des frais futurs. Quant à l’indemnité forfaitaire de gestion, elle diffère, tant par ses finalités que par ses modalités d’application des frais exposés non compris dans les dépens et indemnisés au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 3 avril 2019, l’Ircem Prévoyance demande à la cour de :
‘ réformer le jugement ;
‘ juger que l’action de Mme X n’est pas prescrite ;
‘ juger que la société la Réunion aérienne, assureur responsabilité civile, doit réparer les conséquences dommageables de l’accident dont Mme X a été victime ;
‘ juger qu’elle est recevable et fondée en ses demandes indemnitaires et y faire droit ;
‘ fixer le montant de sa créance au titre des prestations versées pour l’incapacité et l’invalidité du 22 mars 2013 au 31 décembre 2018 à la somme de 16.446,96€ augmentée des intérêts aux taux légaux à compter de l’arrêt à intervenir ;
‘ condamner la société la Réunion aérienne à lui verser une provision de 15.257€ à valoir sur la rente invalidité qu’elle sera amenée à verser à Mme X du 1er janvier 2019 au 31 janvier 2027 ;
‘ la condamner à lui verser la somme de 2000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;
à titre subsidiaire si la cour devait confirmer le jugement :
‘ condamner in solidum Mme X et la société la Réunion aérienne à lui payer la somme de 2000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens avec distraction au profit de son conseil.
Elle rappelle que Mme X exerce la profession de femme de ménage et qu’elle relève de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999, qui l’a désignée comme organisme assurant le système de prévoyance et son avenant du 13 septembre 2010. Elle intervient en complément du régime de protection sociale de base.
Le pilote et le président de l’association Cotentin vol libre ont expressément reconnu leur responsabilité dans l’accident. La société la Réunion aérienne n’a jamais contesté le droit à indemnisation de Mme X. Sur le fondement de l’article 1242 et de l’article 2226 du code civil, l’action s’inscrit dans le cadre de la responsabilité civile délictuelle de droit commun et elle n’est pas prescrite à la date de l’assignation du 1er décembre 2015.
Du 23 août 2010 au 21 août 2013, au titre de l’incapacité elle a versé la somme de 5249,39€ net à l’assuré, outre 1780,25€ à l’Urssaf soit au total la somme de 7029,64€. À compter du 22 mars 2013 et jusqu’au 31 décembre 2018 elle a versé à l’assuré une rente invalidité d’un montant net à l’assuré de 8817,01€ outre les charges sociales versées à l’Urssaf de 600,31€ soit au total la somme de 9417,32 brut.
Du 1er janvier 2010 9 au 31 janvier 2027, elle devra verser une rente mensuelle brute 157,29€ soit la somme totale de 15’257,13€ dont elle demande paiement.
L’arrêt est contradictoire, conformément à l’article 467 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur le régime juridique applicable
L’article L.6100-1 du code des transports énonce qu’est dénommé aéronef, tout appareil capable de s’élever ou de circuler dans les airs.
Tel est le cas d’un parapente.
Il n’est pas discuté que le 23 août 2010, Mme X, personne à mobilité réduite a effectué un baptême de l’air de parapente en duo avec un moniteur.
Dans la déclaration d’accident, dont Mme X ne conteste pas la conformité à la réalité, M. A, témoin des faits, a relaté que le vol était un vol treuillé avec fauteuil handi Air Bulle biplace pour une personne à mobilité réduite de la jambe gauche. Plus précisément sur le déroulé du vol il a noté Gonflage correct de la voie avec une bonne prétension, décollage avec tension optimum donnée par le treuil. Lâchage du fauteuil par les assistants à 1m du sol. Arrivé à 1,5 à 2m du sol, l’ensemble pilote fauteuil redescend (modification de l’aérologie pendant la phase de décollage) et touche le sol sur une ornière faisant basculer le fauteuil sur le côté gauche ainsi que le pilote. Bien que le starter ait très rapidement stoppé la procédure, la jambe gauche de la passagère s’est retrouvée coincée sous le fauteuil…
Le baptême de l’air en parapente qui a un caractère occasionnel à la différence du vol d’instruction est une promenade aérienne et non pas une initiation à la pratique de l’activité sportive de parapente. En conséquence le baptême de l’air en parapente
biplace qui inclut nécessairement les phases de décollage et d’atterrissage est un transport aérien soumis au régime du code des transports.
Peu importe, dès lors, le fait de savoir si le parapente dans lequel Mme X avait pris place a décollé ou pas, alors même qu’en l’occurrence, elle ne discute pas que cet engin a quitté le sol pour se trouver brièvement dans les airs.
En conséquence, Mme X ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 1242 du code civil en ses alinéa 1 et 5 pour rechercher la responsabilité de la société Réunion aérienne.
Sur la prescription
En vertu de l’article L.6422-5 du code des transports l’action en responsabilité contre le transporteur est intentée, sous peine de déchéance, dans le délai de deux ans à compter de l’arrivée à destination, du jour ou l’aéronef aurait dû arriver ou de l’arrêt du transport. L’action en responsabilité, à quelque titre que ce soit, ne peut être exercée que dans les conditions prévues par le présent chapitre.
Ce délai s’applique au recours des organismes sociaux qui exercent un droit propre par subrogation dans le droit d’action de la victime.
L’article 2241 du code civil prévoit que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion, alors que l’article 2239 du même code dispose que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès et le délai de prescription recommence à courir pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.
En l’espèce par application de l’article 2241 du code civil, l’action intentée devant le juge des référés le 11 février 2011 a interrompu le délai de la prescription biennale, et en vertu de l’article 2239 du même code, la prescription a été suspendue pendant la mesure d’expertise diligentée et le délai de la prescription a recommencé à courir à la date du rapport d’expertise soit le 2 septembre 2013.
Mme X disposait donc d’un délai de deux ans expirant le 2 septembre 2015 pour agir en justice à l’encontre de la société la Réunion aérienne. Or elle n’a diligenté son assignation qu’au 1er décembre 2015 et elle est prescrite.
Sur la suspension par la conciliation
Il est constant que le 30 juillet 2012, Mme X a fait assigner la société la Réunion aérienne devant le juge des référés pour obtenir une provision complémentaire de 40.000€. A titre amiable l’assureur lui a versé une provision de 20.000€ et elle s’est désistée de l’instance engagée devant le juge des référés, qui a rendu le 10 septembre 2012 une ordonnance constatant que le désistement était parfait.
En application de l’article 2238 du code civil la prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à une médiation ou à une conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation. La prescription est également suspendue à compter de la conclusion d’une convention de procédure participative ou à compter de l’accord du débiteur constaté par huissier de justice pour participer à la procédure prévue à l’article L.125-1 du code des procédures civiles d’exécution.
L’effet de la suspension n’est conféré qu’à la recherche menée dans le cadre structuré d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, conduites sous l’égide ou avec l’assistance d’un médiateur, d’un conciliateur ou d’avocats.
Or Mme X ne verse aux débats aucun justificatif venant attester qu’elle aurait engagé une de ces procédures alors que les dispositions de l’article 2238 ne sont pas applicables à de simples pourparlers, dont elle ne rapporte d’ailleurs pas plus la preuve. Des éléments portés à la connaissance de la cour, seule est acquise la certitude d’un accord entre Mme X et la société la Réunion Aérienne sur le versement d’une provision complémentaire consacrée par l’ordonnance de désistement rendue le 10 septembre 2012. En l’absence de toute autre démarche légalement encadrée, le délai de L.6422-5 du code des transports n’a pas été suspendu. Le jugement qui a déclaré Mme X prescrite en son action est confirmé.
La caisse d’assurance-maladie des industries électriques et gazières et l’Ircem prévoyance sont également prescrites.
Sur la demande de restitution
Mme X étant prescrite en son action est tenue de restituer à la société la Réunion Aérienne la somme de 30.000€ percue à titre provisionnel et à valoir sur l’indemnisation de son préjudice corporel.
Sur les demandes annexes
Les dispositions du jugement relatives aux dépens sont confirmées.
Mme X qui succombe dans ses prétentions supportera la charge des entiers dépens d’appel. L’équité ne justifie pas de lui allouer une somme sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité ne commande pas d’allouer à la société Réunion Aérienne, à la caisse d’assurance-maladie des industries électriques et gazières et à l’Ircem prévoyance une indemnité au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.
Par ces motifs
La Cour,
– Confirme le jugement,
et y ajoutant,
– Déboute Mme X, la société Réunion Aérienne, la caisse d’assurance-maladie des industries électriques et gazières et l’Ircem prévoyance de leurs demandes au titre de leurs propres frais irrépétibles exposés en appel,
– Dit que Mme X est tenue de restituer à la société Réunion Aérienne la somme de 30.000€, versée à titre provisionnel et à valoir sur l’indemnisation de son préjudice corporel,
– Condamne Mme X aux entiers dépens d’appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.
Le greffier Le président