RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 5
ARRÊT DU 08 NOVEMBRE 2018
(n° , 7 pages)
APPELANTE
AGENCE POUR LA SÉCURITÉ DE LA NAVIGATION AÉRIENNE EN AFRIQUE ET A MADAGASCAR (ASECNA), Établissement de droit public international
[…]
INTIMÉE
LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
[…]
ARRÊT :
***
[…]
FAITS ET PROCÉDURE :
L’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ci-après ASECNA) est un établissement de droit public international, chargé du contrôle aérien des secteurs attribués conformément aux stipulations de la convention de Dakar, à savoir la région ouest et centre de l’Afrique, outre Madagascar et les Comores. Elle facture ses services aux compagnies aériennes dont les aéronefs utilisent les secteurs qui lui ont été attribués.
Selon l’ASECNA, la République démocratique du Congo détient une compagnie aérienne nationale, d’abord appelée D E, puis à compter de fin 1997 Lignes Aériennes Congolaises (ci-après LAC), qui a continuellement emprunté l’espace aérien de l’ASECNA sans s’acquitter de redevances de routage aérien dues à ce titre.
Elle a ainsi obtenu la condamnation de la compagnie D E, par une première ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Paris du 26 novembre1993, signifiée le 16 décembre 1993, à lui payer une provision de 16.840.947,60 francs, soit au principal une somme de 2.567.385,87 euros, outre la somme de 10.000 FF au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et par une seconde ordonnance de la même juridiction statuant en référé, en date du 31 mars 1995, à lui payer une provision de 5.028.139,41 FF, soit 766.534 ,91 euros avec intérêts légaux à compter de la demande du 6 mars 1995 au titre des redevances de route impayées depuis la décision précédente, ainsi qu’une indemnité de procédure de 10.000 FF.
Ces ordonnances n’ayant pas été exécutées, l’ASECNA a assigné la société D E au fond devant le tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 30 mai 2006, a condamné ladite société à lui payer une somme de 595.172,52 euros outre intérêts légaux à compter du 29 décembre 2003 au titre des redevances dues.
Par arrêt du 20 février 2009, la cour d’appel de Paris a réformé ce jugement en ce qu’il a condamné la société D E, compte tenu de l’ouverture de la faillite de celle-ci par jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 12 juin 1995, confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 21 septembre 1995, décisions ayant fait l’objet d’un jugement d’exequatur par le tribunal de grande instance de Paris le 3 juillet 1996 qui les a déclarées exécutoires sur le territoire français, et statuant à nouveau, a condamné la société LAC, nouvelle dénomination de la compagnie aérienne nationale de la République démocratique du Congo à compter du 15 décembre 1997, à payer à l’ASECNA une somme de 672.161,26 euros, assortie des intérêts au taux de 6% trente jours après l’émission de la facture puis avec intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2003 selon arrêt rectificatif en date du 18 décembre 2009, outre une indemnité de procédure de 6.000 euros.
L’ASCENA, considérant que ces créances engagent l’Etat de la République démocratique du Congo qui a, sous toutes ses appellations, laissé se poursuivre l’exploitation, dans des conditions qu’il ne pouvait ignorer, d’une compagnie publique entièrement contrôlée par lui et se soustrayant à ses obligations de paiement, l’a fait assigner en paiement devant le tribunal de commerce de Paris, par acte du 25 septembre 2012.
Par jugement réputé contradictoire en premier ressort rendu le 10 septembre 2015, le tribunal de commerce de Paris a’:
— dit l’Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA) irrecevable en ses demandes’;
— condamné l’Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA) aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 de TVA.
Vu l’appel interjeté les’18 décembre 2015 et 16 janvier 2016 par l’ASECNA à l’encontre de cette décision et l’ordonnance de jonction des procédures inscrites au rôle des affaires en cours sous les numéros 16/00600 et 16/02065 ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 28 février 2018 par l’ASECNA, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de Paris de’:
— dire et juger qu’elle est recevable et bien fondée en son appel’;
— infirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué, rendu par le tribunal de commerce de Paris le 10 septembre 2015 ;
Et ce faisant,
— dire et juger qu’elle est recevable et bien fondée en ses demandes’;
— condamner en conséquence la République démocratique du Congo, prise en la personne de son Ministre du Budget représenté par l’Agent judiciaire du Trésor ou le représentant légal équivalent de l’État du Congo dans les procédures judiciaires à lui payer, sauf à parfaire, les sommes de’:
[…]
***
MOYENS :
L’ASECNA soutient que la compagnie aérienne était organisée non pas en société mais en établissement public à vocation commerciale, et qu’elle constitue une émanation de l’Etat de la République démocratique du Congo. Elle fait valoir à ce titre que ladite compagnie était entièrement contrôlée par l’Etat de la République démocratique du Congo qui a changé son enseigne (D E puis LAC) à plusieurs reprises par décret, et qui était représentée par le ministre des transports et communication lors de l’accord conclu entre le curateur belge de la société D E déclarée en faillite en Belgique et qualifiée d’entreprise à caractère commercial dans la procédure de faillite, et la compagnie LAC, qualifiée d’ex ‘D E’, au terme duquel les parties ont reconnu le passif de la compagnie nationale congolaise D E en Belgique à hauteur de 450.000.000 francs belges et l’Etat de la République démocratique du Congo a négocié la reprise par la compagnie LAC des vols internationaux sous les coordonnées précédemment attribuées sous l’enseigne D E.
Elle soutient que cette compagnie n’a jamais été en situation de faillite judiciaire, hormis son établissement belge sur le territoire de la Belgique avec extension des effets de droit sur le territoire français, dès lors qu’un Etat ne peut être déclaré en faillite et qu’une compagnie publique, si elle peut être considérée en faillite sur un territoire donné à titre punitif, ne peut l’être dans son pays d’origine, n’ayant d’autre personnalité que celle de l’Etat dont elle est issue.
Elle considère que l’Etat de la République démocratique du Congo, qui ne s’est pas préoccupé des conditions d’exploitation inconséquentes de sa compagnie nationale D E/LAC avec laquelle il forme une seule et même entité, et qui l’a liquidée de fait au mépris de ses obligations envers les tiers, doit être considéré comme le débiteur de l’ensemble des obligations souscrites par ladite compagnie depuis sa constitution, et donc de la totalité de ses dettes commerciales au titre des vols effectués sur l’ensemble de la période considérée, peu important qu’il ait été, ou non, membre de l’ASCENA, ayant succédé aux droits et obligations de la compagnie nationale.
Elle ajoute que l’Etat de la République du Congo ne peut bénéficier de l’immunité de juridiction, dès lors que l’article 10 de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 2 décembre 2004 (résolution 59/38) signée par la France le 17 janvier 2007 exclut expressément de son champ d’application les dettes commerciales des Etats et que l’Etat de la République démocratique du Congo est intervenu comme un simple particulier ou une entreprise privée, ou encore dans une activité étrangère à une prérogative de puissance publique, en se livrant à des actes de commerce ou à des activités assimilées sans exercice de souveraineté, le contrat conclu entre l’ASECNA et les compagnies aériennes ayant été qualifié par la cour de cassation de contrat d’adhésion et figurant parmi les contrats de droit privé selon le droit français. Elle soutient que ce contrat est soumis au droit français eu égard à la localisation de l’obligation principale de paiement à Paris.
Elle fait valoir que la clause de juridiction prévue dans les conditions générales d’intervention et de tarification désignant le tribunal de commerce de Paris, figurant dans les conditions générales du contrat ASCENA et acceptée par la compagnie nationale D E/LAC, établissement public industriel et commercial, est opposable à l’Etat de la République du Congo.
Elle en conclut que c’est à tort que le tribunal de commerce de Paris s’est considéré comme territorialement incompétent sans le dire et a déclaré sa demande irrecevable.
La République démocratique du Congo n’a pas constitué avocat.
***
MOTIFS
[…]
La société ACSENA entend obtenir la condamnation de l’Etat de la République du Congo au paiement de factures de routage aérien non honorées par sa compagnie nationale dénommée D E, puis à compter de fin 1997, Lignes Aériennes Congolaises, qu’elle considère être une émanation dudit Etat, et qui n’est plus répertoriée comme compagnie aérienne depuis de nombreuses années.
Doit être considérée comme une émanation d’un Etat une entité qui n’est pas dans une indépendance fonctionnelle suffisante pour bénéficier d’une autonomie de droit et de fait à l’égard de l’Etat et dont le patrimoine se confond avec celui de l’Etat.
La tutelle, voire le contrôle d’un Etat sur une personne morale exercé notamment au travers de ses dirigeants, ainsi que la mission de service public dévolue à celle-ci, ne suffisent pas à la faire considérer comme une émanation de l’Etat impliquant son assimilation à celui-ci, en l’absence de démonstration que cette personne morale ne disposerait pas d’un patrimoine distinct de celui de l’Etat.
Pour qualifier une entité en cause d’émanation de l’Etat, il convient de rechercher les liens structurels et organiques, l’existence d’un patrimoine propre ou non, l’autonomie de décision et de gestion, la nature et l’affectation des biens détenus afin de déterminer si la société constitue ou non une personne morale autonome et indépendante et si elle se confond avec l’Etat.
A titre liminaire, la cour relève que l’action en paiement n’est pas exercée à l’encontre de l’Etat de la République du Congo au titre du défaut de paiement de factures de routage concernant des vols aériens d’aéronefs militaires ou assimilés ou de la flotte présidentielle dudit Etat, mais de l’activité commerciale de la compagnie aérienne nationale D E/LAC.
Pour établir que la compagnie D E/LAC constituerait une émanation de l’Etat de la République du Congo, la société ASECNA fait valoir que :
— selon ordonnance n°78-205 du 5 mai 1978 portant création et statuts d’une entreprise publique dénommée Aie E, a été créée, sous la dénomination D E, une entreprise publique à caractère commercial, dotée de la personnalité juridique, régie par ladite ordonnance outre les dispositions de la loi n°78-002 du 6 janvier 1978 portant dispositions générales applicables aux entreprises publiques, ayant notamment pour objet l’exploitation de tous services publics ou privés, réguliers ou non, le transport par aéronefs de voyageurs, des marchandises et des objets de correspondance, dont le patrimoine est constitué d’une dotation initiale apportée par l’Etat contenant les biens meubles et immeubles, droits corporels et incorporels qui, au moment de l’entrée en vigueur de l’ordonnance, appartenaient ou étaient censés appartenir à l’ex-société par actions à responsabilité limitée dénommée D E, cette dotation pouvant s’accroître par des apports ultérieurs de l’Etat et des réserves, et placée sous la tutelle des départements des transports et communications et du portefeuille (pièce 8-1) ;
— selon décret du 15 octobre 1997 pris par le président de la République démocratique du Congo, la dénomination de la compagnie aérienne nationale, ancienne D E, est devenue à compter de cette date ‘Lignes Aériennes Congolaises’, cette compagnie ayant pris depuis lors, sous cette dénomination, la suite de la société D E comme l’illustre le fax adressé à l’ASECNA le 14 novembre 1997 par M. B C, directeur commercial de la société LAC qui a précisé ‘Par décret présidentiel, notre compagnie aérienne D E vient d’être renommée et se dénomme désormais Lignes aériennes congolaises, LAC en sigle’ et sollicité un rapport sur les dettes de la compagnie (pièce 8-1) ;
— en vertu d’un protocole d’accord conclu le 28 avril 1998 entre Lignes aériennes congolaises et la curatelle d’ex D-E, en présence du ministre des transports et communication de la République démocratique du Congo, il a été décidé de mettre fin au contentieux résultant de la faillite d’D E prononcée par la juridiction belge, la compagnie LAC s’engageant à régler le passif d’D- E, de 450.000 millions FB par un versement mensuel minimal de 10.000 USD en contrepartie de la reprise de l’exploitation LAC sous le n°QC précédemment attribué à D-E (pièce 11-3) ;
Si ces éléments établissent que la société D-E/LAC est une entreprise publique à caractère commercial, financée en grande partie par des subventions de l’Etat et placée sous la tutelle des départements des transports et communications et du portefeuille, il n’est produit aux débats aucune pièce comptable ni aucun élément sur le fonctionnement effectif de cette société justifiant qu’alors qu’elle réalisait des opérations commerciales courantes en lien avec son objet social, lesquelles ont donné lieu à la facturation de redevances de route en litige, elle n’avait en réalité aucune autonomie budgétaire, financière et fiscale certaine, aucun patrimoine propre, ni aucune véritable indépendance organique par rapport à l’Etat qui l’a créée.
L’ASECNA échouant à établir que la société D-E/LAC serait une émanation de l’Etat de la République démocratique du Congo impliquant son assimilation à celui-ci, qu’elle n’aurait donc d’autre personnalité morale que celle de l’Etat dont elle est issue, lequel, constituant avec elle une entité unique, devrait répondre de ses dettes, ne justifie ni de la qualité à défendre de l’Etat de la République démocratique du Congo, ni de son intérêt à agir à son endroit.
Il en résulte que sa demande en paiement des factures de redevances de ladite société engagée à l’égard de l’Etat de la République démocratique du Congo est irrecevable pour défaut de qualité et d’intérêt à agir, et que la fin de non-recevoir est fondée.
Le jugement entrepris sera donc confirmé, par motifs propres et adoptés, en toutes ses dispositions.
L’ASECNA échouant sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt rendu par défaut en dernier ressort,
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 10 septembre 2015 en l’ensemble de ses dispositions,
DEBOUTE L’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE L’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar aux dépens d’appel.
[…]