Droit Aerien

Assurance

Conditions de garantie (non remplies) – Tribunal Mixte de Commerce de Cayenne, 23 février 2023, n°J2021000014

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N'était pas utilisé dans les limites de son titre de navigabilité, n'était pas non plus apte au vol en application des prescriptions techniques du constructeur, et ne remplissait pas, par voie de conséquence, les conditions de garantie, l'aéronef dont il apparaît que la surcharge était de 215 kilos au décollage alors que la limite fixée par le constructeur était de 1723 kilos ; que le chargement n'avait pas été arrimé ; que l'avion était centré en arrière et en dehors de la plage prévue par le constructeur ; et que la pompe mécanique ne délivrait pas le débit spécifié par le constructeur.

 

TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE CAYENNE

AUDIENCE DE FOND JUGEMENT RENDU LE 23/02/2023

– La SOCIÉTÉ [X] [Adresse 1] Prise en la personne de son représentant légal en exercice
Représentée par le Cabinet RMBF : Maître Camille FAYIER et Maître Jean-François ROY, Avocats au Barreau de Paris, Avocats Plaidants,

Comparant ; Maître Jean-François ROY

Représentée par Maître MARCAULT DEROUARD JEAN-YVES, Avocat au Barreau de Cayenne,

Avocat Postulant,

DEFENDEUR :
– LA COMPAGNIE [Y] [Adresse 2] Prise en la personne de son représentant légal en exercice Non-Comparante
– LA COMPAGNIE [Z]
 [Adresse 3] Prise en la personne de son représentant légal en exercice
Représentée par le Cabinet Mazoyer Guijarro Avocats : Maître GUIJARRO Lionel, Avocat au Barreau de Paris, Avocat Plaidant, Comparant
Représentée par Maître PREVOT Muriel, Avocat au Barreau de Cayenne, Avocat Postulant,

COMPOSITION DU TRIBUNAL : Présidente : Madame WANG Jia-Xin
Juges Consulaires : Madame Véronique SORBE, Madame Christine CHUNG et Monsieur Bruno JARRIN.

Commis – Greffier : Madame LING Lok Hei Elisabelle NATURE DE LA DÉCISION
réputé contradictoire en premier ressort
DÉBATS : 12/01/2023
DÉLIBÉRÉ : du 17/02/2023 puis prorogé au 23/02/2023

La Société [X] a souscrit un contrat d’assurances multirisques aviation auprès de la compagnie LA COMPAGNIE [Y]pour la période du 1er décembre 2018 au 30 novembre 2019.
Le 25 janvier 2019, alors que l’aéronef de la Société [X] faisait l’objet d’une location par la société [O], celui-ci s’est écrasé au bout de piste et a été détruit.

La Société [X] a procédé à une déclaration de sinistre auprès de son courtier.

La Société [X] a par la suite envoyé deux lettres recommandées, par l’intermédiaire de son conseil, à l’attention de la COMPAGNIE [Y], respectivement le 6 novembre 2019 et 15 décembre 2020.
Par assignation du 20 janvier 2021, elle a fait citer cette compagnie d’assurances devant le tribunal mixte de commerce de Cayenne aux fins de la voir condamner au règlement du sinistre.

Puis, par assignation du 29 juillet 2021, la Société [X] a fait citer la Compagnie [Z] devant le tribunal mixte de commerce de Cayenne aux fins de solliciter :
• La jonction de la présente instance avec celle engagée contre la COMPAGNIE [Y],
La condamnation de la compagnie [W] – en tant que société absorbante de la COMPAGNIE [Y] – à lui payer la somme de 120 500 euros en principal,
• Le versement de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et 6000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Pour sa part, la compagnie [W] :

• S’oppose à cette jonction en raison d’une nullité qui affecterait l’assignation du 20 janvier 2021 et de la procédure subséquente.
• Soulève l’irrecevabilité de la demande au motif que celle-ci serait prescrite.

À titre subsidiaire, sollicite du Juge de céans de surseoir à statuer dans l’attente du retour d’une enquête en cours sur les circonstances et responsabilités encourues dans cette affaire.
Très subsidiairement, demande de débouter la requérante de l’ensemble de ses demandes, les conditions de garantie n’étant pas garanties au vu d’un usage non prévu par la police d’assurance, en l’occurrence du transport de marchandises ; de l’inaptitude au vol de l’aéronef qui n’était pas conforme aux prescriptions techniques du constructeur ni en état de navigabilité.

Réclame la condamnation de la requérante à lui verser la somme de 10 000 euros par application de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens.

En application de l’article 455 du Code de Procédure Civile, il conviendra de se reporter aux observations et conclusions déposées par chacune des parties à l’audience du 12 janvier 2023 reprenant l’exposé complet de leurs moyens et arguments.

La décision était mise en délibéré par mise à disposition le 17 février 2023, délibéré prorogé au 23/02/2023.

DISCUSSION

I. In limine litis, sur la demande de jonction

Conformément à l’article 367 alinéa 1 du Code de procédure civile, « le juge peut, à la demande des parties ou d’office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble ».

En l’espèce, les deux instances ont le même objet. De plus, il est constant que la jonction de deux instances, les laisse subsister de manière distincte, de sorte que l’éventuelle nullité de l’acte délivré le 20 janvier 2021, n’a pas directement d’influence sur la validité de l’action de la Société [X, entreprise par assignation du 29 juillet 2021, à l’encontre de la compagnie [W].
Dès lors, il convient, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de joindre les deux procédures pour qu’il soit statué par un seul et même arrêt.

II/ Sur les exceptions de procédure, nullité et fins de non-recevoir

1. Sur l’exception de nullité de fond soulevée par la défenderesse portant sur l’assignation délivrée par la Société [X] à l’encontre de [Y] le 20 janvier 2021

Selon l’article 32 du Code de procédure civile, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir est irrecevable. Il est de principe qu’une telle situation n’est pas susceptible d’être régularisée.

En outre, il résulte des dispositions des articles 117 à 121 du Code de procédure civile que le défaut de capacité d’ester en justice constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l’acte qui peut être proposée, en tout état de cause, sans que celui qui l’invoque ait à justifier d’un grief et qui peut être relevée d’office.
Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article L. 236-3 du Code de commerce que la société absorbante acquiert, de plein droit, à la date de la fusion, la qualité de partie aux instances antérieurement engagées par la société absorbée.

À l’égard des tiers, l’article L 123-9 alinéa 1 du Code de commerce prévoit que « La personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l’exercice de son activité, opposer ni aux tiers ni aux administrations publiques, qui peuvent toutefois s’en prévaloir, les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre ».

Enfin, l’article L 237-2 du Code de commerce précise que la date d’effet d’une opération de fusion est celle de sa publication au registre du commerce et des sociétés et que la personnalité morale de la société absorbée a cessé d’exister à partir de cette date et que celle-ci n’a alors plus qualité pour défendre et agir en justice.

En l’espèce, il ressort de la chronologie que la COMPAGNIE [Y] – immatriculée sous le numéro 399 227 354 – a perdu sa personnalité morale lors de la prise d’effet de la fusion absorption, en l’occurrence le 31 décembre 2019, par application de l’article L. 236-4- 2° du code de commerce.

Lors de la délivrance de l’assignation le 20 janvier 2021, et conformément aux dispositions des articles L. 123- 9 et L. 237-2, al. 3, du Code de commerce, la dissolution de la société [Y] était opposable à la Société [X] puisque la radiation avait été publiée au RCS, plus de dix mois auparavant, soit le 2 mars 2020.

Dès lors, l’assignation du 20 janvier 2021 délivrée à une société qui était dépourvue de personnalité juridique et, par suite, d’une capacité de jouissance, excluant tout droit d’agir ou de défendre en justice, est affectée d’une nullité de fond insusceptible d’être régularisée, étant observé qu’il appartenait, en toute hypothèse, à la Société [X], par l’intermédiaire de son conseil, d’être vigilante et de vérifier, avant d’agir en justice, que ladite société avait une existence juridique, notamment en obtenant un extrait Kbis de ladite société.

Ainsi, en raison d’une nullité de fond non régularisable, cet acte de saisine de la juridiction est nul et ne peut avoir aucun effet interruptif à l’égard de la société nouvelle, la Compagnie [W], au titre de l’accident du 25 janvier 2019.

2. Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Conformément à l’article 114-1 alinéa 1 du Code des assurances, « Toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance ».

Conformément à l’article 114-2 du Code des assurances, « La prescription est interrompue par me des causes ordinaires d’interruption de la prescription et par la désignation d’experts à la suite d’un sinistre. L’interruption de la prescription de l’action peut, en outre, résulter de l’envoi d’une lettre recommandée ou d’un envoi recommandé électronique, avec accusé de réception, adressés par l’assureur à l’assuré en ce qui concerne l’action en paiement de la prime et par l’assuré à l’assureur en ce qui concerne le règlement de l’indemnité ».

En l’espèce, le Conseil de la Société [X] a envoyé un premier courrier recommandé avec accusé de réception à l’attention de la compagnie d’Assurances [Y] le 6 novembre 2019, date à laquelle la compagnie n’avait pas encore fait l’objet d’une dissolution. Dans cette lettre, il est demandé à cette dernière de bien vouloir leur « indiquer ce qui s’oppose au règlement du sinistre ». Ayant trait de manière évidente au règlement de l’indemnité, il en résulte que ce courrier recommandé a interrompu la prescription, par application des dispositions de l’article 114-2 du Code des assurances.

Par conséquent, le délai de deux ans a repris à compter du 6 novembre 2019 pour courir jusqu’au 6 novembre 2021. L’assignation délivrée à a compagnie [W] en date du 29 juillet 2021 est donc régulière et recevable, sans qu’il soit nécessaire d’étudier les modalités ayant trait aux autres courriers.

3. Sur le sursis à statuer

Il est de principe que le sursis à statuer peut être imposé par la loi ou ordonné dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Dans ce dernier cas, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire.

En l’espèce, au soutien des violations alléguées par la partie défenderesse, celle-ci a communiqué un rapport d’enquête du bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile rendu en décembre 2021 et se fondent notamment sur les conditions générales du contrat d’assurance, un devis location du 24 janvier 2019, ainsi qu’un fascicule DGAC. L’ensemble de ces pièces communiquées sont suffisantes pour apporter une appréciation sur les contours de la garantie et sur les faits.

Dès lors, il n’apparaît pas utile d’ordonner un sursis à statuer.

III/ Sur la demande principale de versement de l’indemnité en règlement du sinistre

1. Sur le respect des conditions d’usage stipulées dans le contrat d’assurance liant les parties

Le contrat d’assurance multirisques aviation stipule dans son titre IV que les garanties sont acquises uniquement sous réserve du strict respect des conditions d’usage qui sont les suivants ;

• Déplacements aériens pour affaires à titre gratuit
• Prises de vues aériennes, relevés topographiques ou cinématographiques
• Location coque nue pour les usages ci-dessus
• Surveillance aérienne

En l’espèce, un contrat de location coque nue a été souscrit entre la Société [X]et la société [O] le 29 mai 2017 pour une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction. La clause relative à l’assurance stipule que « sont formellement exclus de l’assurance et par conséquent ne sont pas garantis les accidents et/ou réclamations consécutifs à des transports à titre onéreux (…) une utilisation non conforme à celle prévue au CDN et repris dans le manuel de vol, plus généralement tout emploi de l’aéronef qui serait en infraction avec l’ensemble des lois et réglementations qui régissent l’aéronef ».

L’article de presse publié en date du 27 janvier 2019 indique que l’aéronef, au moment de l’accident, assurait « un ravitaillement » et avait « à son bord, entre autres, des denrées alimentaires ». Dans le rapport d’enquête du bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile rendu en décembre 2021, le pilote indique également qu’il transportait des denrées alimentaires vers Maripasoula pour le compte d’une société de restauration qui possède un restaurant sur place.

Le rapport relève à cet effet qu’aux ternies de l’article L 1000-3 du Code des transports, le transport de personnes OU marchandises « organisé pour son compte propre par une personne, publique ou privée » n’est pas du transport public ; qu’il existe en Guyane une offre commerciale de transport de fret par une compagnie disposant d’un certificat de transporteur aérien mais avec des coûts sensiblement plus élevés ; que le transport aérien pour compte propre en location pour* coque nue est un régime permettant de réaliser des opérations de transport en dehors du cadre réglementaire du transport commercial (…) et que les responsabilités diffèrent en matière d’organisation et de sécurité du vol entre le transport aérien commercial et pour compte propre, ce dernier faisant peser davantage de responsabilités au donneur d’ordres.

Il en résulte, tout d’abord, que ce vol a été réalisé en conformité avec les conditions d’usage puisqu’il s’agit d’une location coque nue pour des affaires à titre gratuit – le locataire étant un restaurateur qui se livrait lui- même ses marchandises et que les conditions de garantie de l’assurance sont bien réitérées. S’il existait également des transports commerciaux à cet effet, il apparaît que cette pratique est légale, ou à tout le moins fasse l’objet d’un vide juridique, ne permettant pas, faute de règlementation plus stricte actuellement, d’établir une violation aux conditions d’usage du contrat d’assurances.

En revanche, il ressort que l’opérateur [O] – en qualité de donneur d’ordre – ne s’est pas acquitté des responsabilités qui lui incombaient dans le cadre de ce régime en location coque-nue et s’est reposé uniquement sur le pilote comme s’il s’agissait d’un transport aérien commercial.

2. Sur les conditions de garantie liées à l’aptitude de l’aéronef au vol conformément aux prescriptions techniques réglementaires

L’article 3 du contrat d’assurances portant sur les conditions de garantie, stipule que la garantie est notamment subordonnée, quelles que soient les causes de l’accident aux conditions suivantes :

• L’aéronef doit être apte au vol conformément aux prescriptions techniques et réglementaires (…)
L’aéronef doit être utilisé dans les limites de son titre de navigabilité (…)
En l’espèce, le rapport du bureau d’enquêtes et d’analyses relève que :

• La masse totale au décollage lors de l’accident était de l’ordre de 1938 kg. La masse maximale autorisée au décollage du F-OSIA étant de 1723 kg, l’avion était donc en surcharge de 215 kg par rapport aux limites fixées par le constructeur.

• Ni le pilote ni le donneur d’ordre ne se sont assurés que le chargement de l’avion était conforme aux préconisations du constructeur de l’avion (…) Le vol a été entrepris avec un avion dont le centre de gravité était au-delà des limites de centrage arrière et une masse supérieure à la masse maximale au décollage. Le chargement n’était pas arrimé. De ce fait, les performances de l’avion étaient dégradées et le pilotage rendu plus délicat.
À cet effet, le rapport souligne que le pilote n’a pas respecté les conditions d’utilisation de l’avion, et notamment les prescriptions concernant le chargement. « Il ne s’est pas assuré personnellement de l’état de charge alors qu’il lui appartenait de s’assurer que la masse et le centre de gravité de l’aéronef sont dans les limites prescrites par le constructeur ».

• (…) Les performances du moteur ont pu être inférieures aux standards du constructeur, en raison notamment d’un réglage non conforme de la pompe mécanique carburant, résultant vraisemblablement d’une maintenance inadaptée.

Ainsi, il apparaît qu’il y avait une surcharge de 215 kilos au décollage alors que la limite fixée par le constructeur était de 1723 kilos ; que le chargement n’avait pas été arrimé ; que l’avion était centré en arrière et en dehors de la plage prévue par le constructeur ; et que la pompe mécanique ne délivrait pas le débit spécifié par le constructeur. Il en résulte que l’aéronef n’était pas utilisé dans les limites de son titre de navigabilité ni apte au vol en application des prescriptions techniques du constructeur.

Dès lors, les conditions de garanties prévues dans le contrat liant les parties ne sont pas réunies. Par conséquent, la Société [X] sera déboutée de sa demande ayant pour objet de condamner la société [W] à lui payer l’indemnité d’assurance prévue au contrat.

IV/Sur les demandes accessoires

La Société [X] succombant à la présente instance, sa demande de dommages et intérêts complémentaires au titre de la résistance abusive sera écartée.

En revanche, il apparaît conforme à l’équité, compte-tenu de la nature et circonstances du litige que les parties supportent respectivement les frais et dépens qu’elles auront elles-mêmes engagés.

Les demandes formulées sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile seront en conséquence rejetées.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal Mixte de Commerce, statuant après débats publics, par jugement réputé contradictoire mis à disposition des parties par le greffe, et en premier ressort,

ORDONNE la jonction des affaires enregistrées sous les numéros RG 2021001211 et 2021000194 ;

DECLARE nulle l’assignation délivrée par LA SOCIÉTÉ [X] à l’encontre de la COMPAGNIE [Y] le 20 janvier 2021 ;

DECLARE l’action de la Société [X] à l’encontre de la compagnie d’assurances [W] recevable ;

REJETTE la demande de sursis à statuer sollicitée par la société [W] ;

DEBOUTE la Société [X] de sa demande de condamner la compagnie [Z] – venant aux droits et obligations de la COMPAGNIE [Y] à lui verser la somme de 120. 500 euros en principal,

DEBOUTE les parties de leurs demandes respectives au titre de la résistance abusive, de l’article 700 du Code de procédure civile et des dépens ;
DIT que chacune des parties conservera la charge de ses dépenses au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et des dépens.