Droit Aerien

Aéroports/Domanialité/COT

Motif d’intérêt général nécessaire pour refuser le renouvellement d’une COT – TA Caen, 1re ch., 18 oct. 2024, n° 2202610

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En application des articles L 6111-1 du code des transports et R 121-1, R 221-3 et D 131-6 du code de l’aviation civile (dans leurs versions applicables au litige), seul le ministre chargé de l’aviation civile était habilité à interdire l’activité de parachutisme sur un aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique. L’aéroclub n’était donc pas compétent pour refuser l’autorisation de la pratique du largage de parachutistes. En l'espèce, l’aéroclub ne justifiait d’aucun motif d’intérêt général pour refuser de renouveler son autorisation d’occupation privative du domaine public. Dans ces conditions, les décisions de rejet de l’aéroclub de l’autorisation d’exploitation d’une part et de l’autorisation d’occupation du domaine public d’autre part ont été annulées.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 18 novembre 2022, le 14 février 2023 et le 5 juin 2023, la société France parachutisme tandem, représentée par Me Mazoyer, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision du 11 octobre 2022 par laquelle l’aéroclub de Mortagne-au-Perche a rejeté sa demande d’autorisation d’exercer une activité de parachutisme sur l’aérodrome de Mortagne-au-Perche ;

2°) d’enjoindre à la communauté de communes du pays de Mortagne-au-Perche et à l’aéroclub de Mortagne-au-Perche de réexaminer sa demande et de ne pas faire opposition à la mise à disposition de locaux nécessaires à l’activité, sans délai et sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes du pays de Mortagne-au-Perche et de l’aéroclub de Mortagne-au-Perche les dépens et une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la juridiction administrative est compétente et que la décision :

— est entachée d’incompétence ;

— est insuffisamment motivée ;

— est entachée d’une erreur de fait et d’une erreur de droit ;

— méconnaît le principe d’égalité des usagers de l’aérodrome ;

— méconnaît le principe fondamental de la liberté de commerce de d’industrie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2022, la communauté de communes du pays de Mortagne-au-Perche, représentée par Me Blanchet, conclut à sa mise hors de cause, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société France parachutisme tandem la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société France parachutisme tandem ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 février 2023, l’aéroclub de Mortagne-au-Perche, représenté par Me Cornanguer, conclut à l’incompétence de la juridiction administrative, à l’irrecevabilité du recours et, à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société France parachutisme tandem la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que la décision attaquée est un refus de renouvellement d’une convention de droit privé et que les moyens soulevés par la société France parachutisme tandem ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 28 novembre 2023, la clôture d’instruction a été fixée au 29 décembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de la sécurité intérieure ;

— le code des relations entre le public et l’administration ;

— le code général de la propriété des personnes publiques ;

— le code de l’aviation civile ;

— le code des transports ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. Martinez,

— les conclusions de M. Bonneu, rapporteur public,

— et les observations de Me Mazoyer, représentant la société France parachutisme tandem.

Les autres parties n’étaient ni présentes ni représentées.

Considérant ce qui suit :

1. La société France parachutisme tandemqui exploite depuis 2020 une activité de parachutisme sur l’aérodrome de Mortagne-au-Perche, a sollicité le renouvellement de l’autorisation d’exercer son activité de sauts en parachute sur le terrain de l’aérodrome et la mise à disposition d’une place de hangar pour son avion. Par une décision du 11 octobre 2022, dont il est demandé l’annulation, l’aéroclub de Mortagne-au-Perche a opposé un refus.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Aux termes de l’article R. 221-3 du code de l’aviation civile : « l’utilisation d’un aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique peut, à toute époque, être soumise à certaines restrictions ou temporairement interdite, si les conditions de la circulation aérienne sur l’aérodrome ou dans l’espace aérien environnant, ou des raisons d’ordre public le justifient. Ces décisions font l’objet d’avis aux navigateurs aériens () ». En vertu de l’article D. 131-6 du même code : « () le ministre chargé de l’aviation civile et le ministre chargé des armées établissent la réglementation propre à la circulation aérienne qui relève de leurs compétences respectives ». Aux termes de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs : / 1° Aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires () ».

3. L’aéroclub de Mortagne-au-Perche soutient que le courrier attaqué porte sur des relations commerciales entre deux personnes privées dont la compétence contentieuse relève de l’ordre juridictionnel judiciaire. Il ressort des pièces du dossier que le courrier litigieux porte sur « l’examen du principe et des conditions de renouvellement de l’activité » exercée par la société France parachutisme tandem et l’absence d’autorisation de la part de la communauté de communes du pays de Mortagne-au-Perche pour exercer « toute nouvelle activité sur la plateforme ». Selon ce courrier, l’aéroclub dispose du « droit d’attribuer des places de hangar (..) au regard de ses statuts ».

4. La règlementation propre à la circulation aérienne, qui comprend en particulier les éventuelles restrictions à l’utilisation des aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique et de l’espace aérien environnant, relève d’un pouvoir de police spéciale. Par conséquent, le refus d’exercer une activité de circulation aérienne sur l’aérodrome de Mortagne-au-Perche est une mesure de police administrative relevant de la compétence du juge administratif.

5. Il est constant que l’aérodrome est la propriété de la communauté de communes du pays de Mortagne-au-Perche et qu’il a fait l’objet d’un aménagement spécial en vue de l’exercice de la mission de service public confiée par une convention du 4 juillet 2022 à l’association aéroclub de Mortagne-au-Perche. Par suite, le refus de renouvellement de la convention conclue le 27 mars 2021 entre l’association aéroclub de Mortagne-au-Perche, concessionnaire, et la société France parachutisme tandem porte sur l’occupation du domaine public. Dès lors, le litige né du refus de renouvellement de la convention conclue le 27 mars 2021 relève, en application de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, de la compétence de la juridiction administrative.

6. Il résulte de ce qui précède que l’exception d’incompétence de la juridiction administrative soulevée en défense doit être écartée.

Sur l’intervention de la communauté de communes du pays de Mortagne-au-Perche :

7. Aucune conclusion n’étant dirigée contre la communauté de communes du pays de Mortagne-au-Perche, sa demande de mise hors de cause doit être accueillie.

Sur la fin de non-recevoir soulevée en défense :

8. L’association aéroclub de Mortagne-au-Perche soutient que le courrier attaqué du 11 octobre 2022 ne ferait pas grief à la société France parachutisme tandem. Toutefois, en énonçant que l’association détient un « droit discrétionnaire d’autoriser ou de refuser la pratique du largage de parachutes » et que « l’activité devait être autorisée et encadrée par la convention » du 27 mars 2021, et en refusant de renouveler ladite convention, l’association aéroclub de Mortagne-au-Perche a pris des décisions faisant grief et susceptibles de recours contentieux. Dès lors, la fin de non-recevoir soulevée en défense doit être écartée.

Sur les conclusions aux fins d’annulation du refus d’autorisation de la pratique du largage de parachutistes :

9. Aux termes de l’article L. 6111-1 du code des transports : « I.- Un aéronef ne peut circuler que s’il est immatriculé. () III.- Par dérogation au I, certains aéronefs non mentionnés au II sont exemptés de l’obligation d’immatriculation en raison de leurs caractéristiques particulières. La liste des catégories de ces aéronefs et les modalités d’application du présent III sont fixées par décret en Conseil d’Etat ». Aux termes de l’article R. 121-1 du code de l’aviation civile dans sa version applicable au litige :  » En application du III de l’article L. 6111-1 du code des transports, sont exemptés de l’obligation d’immatriculation les aéronefs suivants : () 4° Les parachutes ; () « . Aux termes de l’article R. 221-3 du même code : » l’utilisation d’un aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique peut, à toute époque, être soumise à certaines restrictions ou temporairement interdite, si les conditions de la circulation aérienne sur l’aérodrome ou dans l’espace aérien environnant, ou des raisons d’ordre public le justifient. Ces décisions font l’objet d’avis aux navigateurs aériens () « . En vertu de l’article D. 131-6 du même code : » () le ministre chargé de l’aviation civile et le ministre chargé des armées établissent la réglementation propre à la circulation aérienne qui relève de leurs compétences respectives « .

10. La décision litigieuse qui, suspendant l’activité de parachutisme sur l’aérodrome de Mortagne-au-Perche, règlemente l’utilisation de cet aérodrome, présente le caractère d’acte règlementaire, alors même qu’elle n’aurait de conséquences que sur l’activité de la société France parachutisme tandem. La règlementation propre à la circulation aérienne, qui comprend en particulier les éventuelles restrictions à l’utilisation des aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique et de l’espace aérien environnant et qui s’applique aux parachutes entrant dans la catégorie des aéronefs conformément aux articles combinés L. 6111-1 du code des transports et R. 121-1 du code de l’aviation civile précités, relève, pour l’aviation civile, du ministre chargé de cette activité qui dispose à cet effet, en vertu des dispositions citées ci-dessus, d’un pouvoir de police spéciale. Par suite, l’association aéroclub de Mortagne-au-Perche n’était pas compétente pour interdire la pratique du largage de parachutistes sur l’aérodrome de Mortagne-au-Perche. Le moyen tiré de l’incompétence de l’association aéroclub de Mortagne-au-Perche doit donc être accueilli.

Sur les conclusions aux fins d’annulation du refus d’autorisation d’occupation privative du domaine public :

11. Aux termes de l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous () ». S’il résulte des principes généraux de la domanialité publique que les titulaires d’autorisations d’occupation temporaire du domaine public n’ont pas de droit acquis au renouvellement de leur titre, il appartient au gestionnaire du domaine d’examiner chaque demande de renouvellement en appréciant les garanties qu’elle présente pour la meilleure utilisation possible du domaine public. Il peut décider, sous le contrôle du juge, de rejeter une telle demande pour un motif d’intérêt général.

12. L’association aéroclub de Mortagne-au-Perche soutient que l’activité de parachutisme sur l’aérodrome de Mortagne-au-Perche crée une nuisance sonore du fait des décollages et des survols. Or, l’association ne fournit que des attestations stéréotypées et non circonstanciées de sept maires des communes membres de ladite communauté de communes des pays de Mortagne-au-Perche. L’association aéroclub de Mortagne-au-Perche ne produit pas d’autre élément, tel que des mesures sonométriques ou des témoignages de riverains, susceptible d’établir que les bruits générés par les évolutions d’aéronefs utilisés par la société France parachutisme tandem dépassent les seuils maximums de bruits tels que déterminés par la réglementation ou qu’ils constituent un trouble anormal de voisinage. Par suite, la société France parachutisme tandem est fondée à soutenir que l’association aéroclub de Mortagne-au-Perche ne justifie d’aucun motif d’intérêt général pour refuser de renouveler son autorisation d’occupation privative du domaine public.

13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que les décisions du 11 octobre 2022 de l’association aéroclub de Mortagne-au-Perche doivent être annulées.

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

14. L’exécution du présent jugement implique seulement que la demande de la société France parachutisme tandem soit réexaminée sur le fondement de l’article L. 911-2 du code de justice administrative. Il y a lieu, par suite, d’enjoindre à l’association aéroclub de Mortagne-au-Perche de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction de l’astreinte demandée par la société France parachutisme tandem.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Il y a lieu de mettre à la charge de l’association aéroclub de Mortagne-au-Perche, partie perdante, une somme de 1 500 euros à verser à la société France parachutisme tandem sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les décisions du 11 octobre 2022 de l’association aéroclub de Mortagne-au-Perche sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint à l’association aéroclub de Mortagne-au-Perche de procéder au réexamen de la demande de la société France parachutisme tandem dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : L’association aéroclub de Mortagne-au-Perche versera à la société France parachutisme tandem une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la société France parachutisme tandem, à la communauté de communes du pays de Mortagne-au-Perche et à l’association aéroclub de Mortagne-au-Perche.