LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
– La société Kenya Airways,
contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de PARIS, 6e section, en date du 28 mai 2013, qui, dans l’information suivie contre elle des chefs d’homicides involontaires, atteintes involontaires à l’intégrité physique ou psychique de la personne, mise en danger délibérée d’autrui, omission de porter secours, atteinte au respect dû aux morts, a prononcé sur sa demande de constatation de l’incompétence territoriale des juridictions françaises ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 9 octobre 2013 (…)
(…)
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-3, 111-4, 113-7 et 113-8 du code pénal, 6 alinéa 3, 80, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
» en ce que la chambre de l’instruction a partiellement rejeté la demande d’incompétence territoriale présentée par la demanderesse ;
» aux motifs qu’il est demandé par l’avocat de la Kenya Airways à la chambre de l’instruction de dire que les retraits de plainte intervenus ont entraîné l’extinction de l’action publique et que par conséquent, le juge d’instruction étant devenu incompétent, il y a lieu de constater la fin de l’information relative aux faits du 30 avril 2000 à Abidjan ; que la demande présentée, qui s’appuie sur des dispositions du code pénal relatives à la compétence territoriale du juge d’instruction, tend à ce que le juge d’instruction se déclare incompétent en raison de la survenance d’une cause d’extinction de l’action publique ; qu’il est de principe que le retrait de la plainte n’a aucune incidence sur l’action publique ; que l’article 6 du code de procédure pénale prévoit les cas dans lesquels l’action publique est éteinte, à savoir la mort du prévenu, la prescription, l’amnistie, l’abrogation de la loi pénale et la chose jugée ; que l’alinéa 3 de cet article prévoit également que l’action publique peut en outre s’éteindre en cas de retrait de plainte, lorsque celle-ci est une condition nécessaire de la poursuite ; que l’article 1 13-8 du code pénal dispose que dans les cas prévus aux articles 113-6 et 1 13-7, la poursuite des délits ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public, qu’elle doit être précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis ; que plusieurs dispositions législatives, portant sur des délits particuliers, prévoient expressément que la poursuite est subordonnée à la plainte de la partie lésée, l’action publique ne pouvant être dans ces cas exercée que sur plainte de la victime, de son représentant ou de ses ayants droit ; qu’il en est ainsi des délits énumérés dans le » déclinatoire de compétence » présenté par la société Kenya Airways ; que l’association Fenvac relève dans son mémoire que les exemples de jurisprudence cités ne concernent que des délits qui portent atteinte à des intérêts exclusivement privés qui ne causent qu’un trouble social minime ; qu’il convient néanmoins de relever que les dispositions de l’article 113-8 du code pénal prévoient que la plainte de la victime ou la dénonciation officielle sont une condition nécessaire de la poursuite dans les cas prévus à l’article 113-6 et 113-7 ; qu’ainsi, les délits concernés, commis à l’étranger par un fiançais ou par un étranger lorsque la victime est de nationalité française, peuvent être des délits de toute nature et donc, comme en l’espèce, la mise en danger délibérée d’autrui, des atteintes involontaires à l’intégrité de la personne, l’omission de porter secours, l’atteinte au respect dû aux morts ou l’homicide involontaire ; qu’il s’ensuit que si, conformément à ce qui est exposé par le procureur général dans ses réquisitions, la poursuite des délits visés aux articles 113-6 et 113-7 ne peut effectivement être exercée qu’à la requête du ministère public, en cas de retrait de plainte formée au titre de ces délits commis à l’étranger, ce retrait de la plainte, conformément à l’article 6, alinéa 3, du code de procédure pénale, entraîne l’extinction de l’action publique ; qu’une plainte qui a pris la forme d’une plainte avec constitution de partie civile est une plainte au sens de l’article 113-8 précité ; que le retrait de la plainte prévu par l’article 6, alinéa 3, du code de procédure pénale peut concerner une plainte ayant pris la forme d’une plainte avec constitution de partie civile ; que le désistement de plainte avec constitution de partie civile opère ainsi, dans les cas particuliers évoqués et dans les cas de l’espèce, extinction de l’action publique à tous les stades de la procédure, y compris devant le juge d’instruction qui doit le constater ; que plusieurs parties civiles se sont désistées de leurs plaintes avec constitution de partie civile ; qu’il s’agit selon ce qui est exposé dans le » déclinatoire de compétence » de la société Kenya Airways de Mme … X…, Mme Y…, M. C…en son nom et en celui de son fils mineur Alexandre, de Mme Z…et de Mme A…, épouse B…; que le désistement doit se rapporter à l’infraction poursuivie et être non équivoque ; que, le 5 janvier 2010, le procureur de la République a requis qu’il soit informé du chef d’homicides involontaires ; que Mme X…s’est constituée partie civile, le 2 novembre 2009, du chef d’homicide involontaire ; que Mme Y…mère de Mme C…, s’est constituée partie civile du chef de risques causés à autrui, délits d’atteintes involontaires à l’intégrité physique ou psychique de la personne, mise en danger délibérée de la personne d’autrui, imprudence, négligence, manquement à une obligation de prudence ou de sécurité, omission de porter secours, atteinte au respect dû aux morts ; qu’il en a été de même de Mme A…, épouse B…, de l’association de défense des victimes et familles des victimes du crash d’Abidjan KQ 431 et de M. C…en son nom et en celui de son fils mineur Alexandre ; que Mme Z…, épouse D…s’est constituée partie civile ainsi que huit autres membres de la famille d’… G…, le 29 janvier 2002, du chef de risques causés à autrui, atteintes involontaires à l’intégrité physique ou psychique de la personne, mise en danger délibérée de la personne d’autrui, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité, omission de porter secours, atteinte au respect dû aux morts ; que Mme X…a fait connaître par courrier du 9 juillet 2010 de son avocat qu’elle entendait se désister purement et simplement de sa constitution de partie civile ; que ce désistement de sa plainte du chef d’homicide involontaire en date du 2 novembre 2009, le procureur de la République ayant requis ultérieurement qu’il soit informé du chef d’homicides involontaires, se rapporte à l’infraction poursuivie et est non équivoque ; que ce désistement éteint l’action publique en ce qui concerne les faits dénoncés dans cette constitution de partie civile ; que M. C…en son nom personnel et au nom de son fils mineur adressait un courrier le 21 décembre 201 1 au juge d’instruction dans lequel il déclarait se désister de sa constitution de partie civile dans le dossier, ayant été indemnisé de son préjudice ainsi que son fils par l’assureur responsabilité de la Kenya Airways ; que, par courrier 15 décembre 2011, Mme Y…s’exprimait dans les mêmes termes ; que, néanmoins que postérieurement à leurs constitutions de parties civiles formées au titre des infractions ci-dessus rappelées, il a été instruit, sur réquisitions supplétives du parquet en date du 5 janvier 2010, du chef d’homicides involontaires ; que les parties civiles ont perdu dans l’accident leur fille, épouse et mère ; que leur désistement ne porte pas, en l’état, sur les infractions complémentaires sur lesquelles il est instruit depuis le réquisitoire supplétif précité et qu’il est équivoque ; que ces désistements n’ont donc pas pour effet d’éteindre l’action publique ; que Mme A…, épouse B…a fait connaître par courriers des 29 février et 17 avril 2012 de son avocat qu’elle entendait se désister de sa constitution de partie civile ; que ce désistement éteint l’action publique en ce qui concerne les faits dénoncés dans cette constitution de partie civile ; que Mme Z…, épouse D…a fait connaître par courrier du 29 juillet 2012 de son avocat qu’elle entendait se désister de sa constitution de partie civile ; qu’elle exposait dans ce courrier que plusieurs personnes, ne figurant, semble-t-il pas, dans la constitution de partie civile formée le 29 janvier 2002, avaient trouvé un accord avec les assureurs de la Kenya Airways ; qu’il y a lieu de rappeler que la constitution de partie civile formée le 29 janvier 2002 l’a été par la précitée ainsi que par huit frères et soeurs d’… G…, tous majeurs au jour de cette constitution de partie civile et qui n’ont pas fait connaître qu’ils se désistaient de leur constitution de partie civile ; que le désistement ne peut donc concerner ces dernières personnes ; qu’en outre, le désistement ne porte pas sur les infractions complémentaires sur lesquelles il est instruit depuis le réquisitoire supplétif précité ; qu’il est donc équivoque ; que ce désistement n’a donc pas pour effet d’éteindre l’action publique ; qu’en conséquence qu’il y a lieu de constater que seuls les désistements de leurs plaintes avec constitution de parties civiles de Mme X…et de Mme A…, épouse B…ont éteint l’action publique en ce qui concerne les faits dénoncés dans leurs constitutions de partie civile ; qu’il y a lieu également de renvoyer le dossier au juge d’instruction pour poursuivre l’information ».
» 1°) alors que, seule la nationalité française de la victime directe de l’infraction commise à l’étranger attribue compétence aux lois et juridiction françaises sur le fondement de l’article 113-7 du code pénal ; qu’en conséquence, il appartenait à la chambre de l’instruction de rechercher la nationalité des victimes directes du crash aérien, faute de quoi la question de la subsistance de la compétence personnelle passive ne pouvait être tranchée ; que sa décision se trouve privée de motivation suffisante ;
» 2°) alors que, si la poursuite d’infractions relevant de la compétence personnelle passive peut être valablement engagée sur la base d’une plainte avec constitution de partie civile d’un proche d’une victime décédée, c’est à la condition que cette victime ait la nationalité française ; qu’en l’espèce, M. G… décédé à l’occasion de l’accident, était de nationalité togolaise ; qu’il en résulte que la plainte déposée par Mme Z…, mère de ce dernier, ainsi que par ses huit frères et soeurs, n’était pas de nature à soutenir l’action publique ;
» 3°) alors que, un réquisitoire supplétif a pour objet d’agréger à une instruction déjà ouverte des faits qui n’étaient pas initialement compris dans la poursuite, de sorte qu’il est dépendant du réquisitoire introductif ; qu’en interprétant les désistements de M. C…(pour lui-même et son fils mineur), de Mme Y…et de Mme Z…comme étant équivoques au motif qu’ils ne visaient pas expressément le réquisitoire supplétif pris du chef d’homicide involontaire, la chambre de l’instruction a méconnu ce principe ;
» 4°) alors que, un réquisitoire supplétif n’a lieu d’être que si des faits nouveaux sont découverts par le juge d’instruction à l’occasion d’une information ; qu’en l’espèce, si la qualification d’homicide involontaire n’était pas mentionnée dans les constitutions de parties civiles, le juge d’instruction était, nonobstant la prise d’un réquisitoire supplétif en ce sens, déjà entièrement saisi de tels faits ; que les désistements des parties civiles portaient sur leur entière constitution de partie civile dans ce dossier ; que dans ces conditions, la chambre de l’instruction ne pouvait juger équivoque comme ne s’étendant pas à la qualification d’homicide involontaire leur désistement ;
» 5°) alors que, les faits ayant fait l’objet du réquisitoire supplétif se sont déroulés à l’étranger à l’encontre d’une victime française ; qu’en vertu de l’article 113-8 du code pénal, l’engagement des poursuites par le ministère public à l’encontre du ou des auteurs de ces actes devait être nécessairement précédé d’une plainte de la victime ou d’une dénonciation des autorités officielles : que, dès lors, la chambre de l’instruction ne pouvait prétendre que les parties civiles n’avaient pu se désister de leur constitution de partie civile concernant des actes qui n’ont jamais fait l’objet d’une plainte de leur part, en violation du texte précité ;
» 6°) alors que la chambre de l’instruction ne pouvait, sans se contredire, interpréter comme étant équivoques les désistements de M. C…(pour lui-même et son fils mineur), de Mme Y…et de Mme Z…en ce qu’ils ne portent pas « sur les infractions complémentaires sur lesquelles il est instruit depuis le réquisitoire supplétif précité » tout en omettant de mentionner dans son dispositif que ces désistements avaient pu éteindre l’action publique s’agissant des infractions initiales » ;
Vu l’article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout arrêt de la chambre de l’instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 30 janvier 2000, un avion de type Airbus A310, exploité par la compagnie Kenya Airways, effectuant la liaison Abidjan-Nairobi, s’est abîmé en mer dans les eaux territoriales de la Côte d’Ivoire ; que, sur les 179 personnes à bord, seules dix d’entre elles ont survécu ; que diverses plaintes avec constitution de partie civile contre personne non dénommée des chefs d’atteintes involontaires à l’intégrité physique ou psychique de la personne, mise en danger délibérée de la personne d’autrui, omission de porter secours, atteinte au respect dû aux morts, ont été adressées au doyen des juges d’instruction de Paris : le 23 janvier 2001 par Mme A…, épouse de M. B…, rescapé de l’accident, et par Mme Y…, mère de E…, décédée dans l’accident, puis le 27 mars 2001 par M. C…, veuf de celle-ci ; que l’Association de défense des victimes et familles du crash d’Abidjan KQ 431, représentée par M. C…, a également porté plainte le 23 janvier 2001 ; que le 15 mai 2001, le procureur de la République de Paris a ouvert, sur le fondement de l’article113-7 du code pénal, une information des chefs précités ; que se sont également constitués parties civiles, le 29 janvier 2002, Mme Z…ainsi que huit autres membres de la famille de … G…, steward décédé dans l’accident, le 2 novembre 2009, Mme … X…, épouse de Oluwale X…, décédé dans les mêmes circonstances ; que le 5 janvier 2010, le procureur de la République a requis qu’il soit également instruit du chef d’homicides involontaires ; que la Fédération nationale des victimes d’accidents collectifs (FENVAC) s’est également constituée partie civile le 25 janvier 2008 ; qu’à la suite d’accords intervenus avec les assureurs de la société Kenya Airways, Mmes A…, … X…, Z…, Y…et M. C…se sont désistés ultérieurement de leurs plaintes ; que le juge d’instruction a rejeté la demande, présentée par la société Kenya Airways, tendant à ce qu’il constate l’incompétence des juridictions françaises à la suite des désistements intervenus ; que, sur l’appel de la personne mise en examen, la chambre de l’instruction, par l’arrêt attaqué, infirmant partiellement cette décision, a constaté l’extinction de l’action publique en ce qui concernait les seuls faits dénoncés par Mmes A…et … X…et a confirmé l’ordonnance déférée pour le surplus par les motifs reproduits au moyen ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, d’une part, sans établir que les victimes directes des infractions visées par les plaintes de leurs ayants droit étaient, lors de l’accident, de nationalité française, alors que seule la possession de cette qualité au moment de l’infraction commise à l’étranger attribue compétence aux lois et juridictions françaises sur le fondement des articles 113-7 du code pénal et 689 du code de procédure pénale, d’autre part, en omettant, avant d’examiner la portée du désistement des parties civiles au regard des dispositions de l’article 6, alinéa 3, du code de procédure pénale, de rechercher celles des plaintes qui répondaient aux exigences combinées des articles 113-7 et 113-8 du code pénal, conditionnant la régularité des poursuites exercées par le ministère public, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, en date du 28 mai 2013, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,