ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
22 décembre 2008
Dans l’affaire C-549/07,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Handelsgericht Wien (Autriche), par décision du 30 octobre 2007, parvenue à la Cour le 11 décembre 2007, dans la procédure
Friederike Wallentin-Hermann
contre
Alitalia — Linee Aeree Italiane SpA,
[…]
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO L 46, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Wallentin-Hermann à Alitalia — Linee Aree Italiane SpA (ci-après «Alitalia») à la suite du refus de cette dernière d’indemniser la requérante au principal dont le vol avait été annulé.
[…]
Le litige au principal et les questions préjudicielles
9 Il résulte de la décision de renvoi que Mme Wallentin-Hermann a réservé, pour elle-même, son époux et sa fille, trois places sur un vol au départ de Vienne (Autriche) et à destination de Brindisi (Italie), via Rome (Italie), auprès d’Alitalia. Le départ de Vienne était prévu le 28 juin 2005 à 6 h 45 et l’arrivée à Brindisi était prévue le même jour à 10 h 35.
10 Après l’enregistrement, les trois passagers ont été informés, cinq minutes avant l’heure de départ prévue, que leur vol était annulé. Ils ont ensuite été transférés sur un vol de la compagnie Austrian Airlines à destination de Rome, où ils sont arrivés à 9 h 40, soit 20 minutes après l’heure de départ de leur correspondance pour Brindisi, qu’ils ont donc manquée. Mme Wallentin-Hermann et sa famille sont arrivées à Brindisi à 14 h 15.
11 L’annulation du vol d’Alitalia au départ de Vienne a résulté d’une panne de moteur complexe affectant la turbine et décelée la veille au cours d’une vérification. Alitalia en avait été informée la nuit précédant ce vol, à 1 heure. La réparation de l’aéronef, qui a nécessité l’acheminement de pièces de rechange et de techniciens, a été achevée le 8 juillet 2005.
12 Mme Wallentin-Hermann a réclamé à Alitalia une indemnisation de 250 euros en vertu des articles 5, paragraphe 1, sous c), et 7, paragraphe 1, du règlement no 261/2004 en raison de l’annulation de son vol ainsi que 10 euros de frais de téléphone. Alitalia a rejeté cette demande.
13 Dans le cadre de la procédure judiciaire que Mme Wallentin-Hermann a alors introduite, le Bezirksgericht für Handelssachen Wien (tribunal d’arrondissement pour les affaires commerciales de Vienne) a fait droit à sa demande d’indemnisation, notamment au motif que les problèmes techniques ayant affecté l’appareil concerné ne relevaient pas des «circonstances extraordinaires» exonératoires d’indemnisation prévues à l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004.
14 Alitalia a interjeté appel de cette décision devant le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne), qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Existe-t-il des circonstances extraordinaires au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement […] no 261/2004 […], au regard du quatorzième considérant de ce règlement, lorsqu’un problème technique affectant l’avion, à savoir une avarie de moteur, entraîne l’annulation du vol, et convient-il d’interpréter les causes d’exonération visées à l’article 5, paragraphe 3, [de ce] règlement en accord avec les dispositions de la convention de Montréal (article 19)?
2) En cas de réponse affirmative à la première question: chez les transporteurs aériens qui connaissent un taux d’annulation de vols pour problèmes techniques supérieur à la moyenne, existe-t-il des circonstances extraordinaires au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement [no 261/2004] du seul fait de la fréquence de ces problèmes?
3) En cas de réponse affirmative à la première question: un transporteur aérien a-t-il pris toutes les ‘mesures raisonnables’ au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement [no 261/2004] s’il prouve que le minimum légal de travaux d’entretien a été effectué sur l’avion et est-ce suffisant pour que le transporteur aérien soit libéré de l’obligation d’indemnisation prévue par les dispositions combinées des articles 5 et 7 [de ce] règlement?
4) En cas de réponse négative à la première question: des circonstances extraordinaires au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement [no 261/2004] sont-elles des cas de force majeure ou des phénomènes naturels qui ne résident pas dans un problème technique et qui sont dès lors étrangers au transporteur aérien?»
Sur les questions préjudicielles
Sur les première et quatrième questions
15 Par ses première et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, lu à la lumière du quatorzième considérant de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’un problème technique survenu à un aéronef et qui entraîne l’annulation d’un vol relève de la notion de «circonstances extraordinaires» au sens de cette disposition ou si, à l’inverse, cette notion couvre des situations d’autre nature qui ne résident pas dans des problèmes techniques. La juridiction de renvoi demande également s’il convient d’interpréter les causes d’exonération visées à ladite disposition conformément aux dispositions de la convention de Montréal, en particulier son article 19.
16 Il convient de constater que la notion de circonstances extraordinaires n’est pas au nombre de celles qui sont définies à l’article 2 du règlement no 261/2004. Cette notion n’est pas davantage définie dans les autres articles dudit règlement.
[…]
19 Comme il ressort du douzième considérant et de l’article 5 du règlement no 261/2004, le législateur communautaire a entendu atténuer les difficultés et les désagréments occasionnés aux passagers par les annulations de vol en incitant les transporteurs aériens à annoncer celles-ci à l’avance et, dans certaines circonstances, à proposer un réacheminement répondant à des critères déterminés. Dans l’hypothèse où ces mesures ne pourraient pas être adoptées par lesdits transporteurs, le législateur communautaire a souhaité que ceux-ci indemnisent les passagers, sauf lorsque l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.
20 Dans ce contexte, il apparaît clairement que, si l’article 5, paragraphe 1, sous c), du règlement no 261/2004 pose le principe du droit à indemnisation des passagers en cas d’annulation d’un vol, le paragraphe 3 du même article, qui détermine les conditions dans lesquelles le transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser cette indemnisation, doit être regardé comme dérogeant à ce principe. Dès lors, cette dernière disposition doit être interprétée strictement.
21 À cet égard, le législateur communautaire a indiqué, comme il ressort du quatorzième considérant du règlement no 261/2004, que de telles circonstances peuvent se produire, en particulier, en cas d’instabilité politique, de conditions météorologiques incompatibles avec la réalisation du vol concerné, de risques liés à la sécurité, de défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol ainsi que de grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien.
22 Il ressort de cette indication dans le préambule du règlement no 261/2004 que le législateur communautaire a entendu non pas que ces événements, dont la liste n’est d’ailleurs qu’indicative, constituent eux-mêmes des circonstances extraordinaires, mais seulement qu’ils sont susceptibles de produire de telles circonstances. Il en résulte que toutes les circonstances entourant de tels événements ne sont pas nécessairement des causes d’exonération de l’obligation d’indemnisation prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous c), de ce règlement.
23 Si le législateur communautaire a fait figurer dans ladite liste les «défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol» et si un problème technique survenu à un aéronef peut être compté au nombre de telles défaillances, il n’en reste pas moins que les circonstances entourant un tel événement ne sauraient être qualifiées d’«extraordinaires» au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 que si elles se rapportent à un événement qui, à l’instar de ceux énumérés au quatorzième considérant de ce règlement, n’est pas inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappe à la maîtrise effective de celui-ci du fait de sa nature ou de son origine.
24 Or, compte tenu des conditions particulières dans lesquelles s’effectue le transport aérien et du degré de sophistication technologique des aéronefs, il doit être constaté que les transporteurs aériens sont, de manière ordinaire, confrontés, dans l’exercice de leur activité, à divers problèmes techniques que fait inéluctablement apparaître le fonctionnement de ces appareils. C’est d’ailleurs pour éviter de tels problèmes et en vue de se prémunir contre des incidents mettant en cause la sécurité des vols que ces appareils sont soumis à des contrôles réguliers particulièrement stricts, qui sont intégrés dans les conditions courantes d’exploitation des entreprises de transport aérien. Résoudre un problème technique provenant d’un défaut d’entretien d’un appareil doit donc être considéré comme inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien.
25 En conséquence, des problèmes techniques révélés lors de l’entretien des aéronefs ou en raison du défaut d’un tel entretien ne sauraient constituer, en tant que tels, des «circonstances extraordinaires» visées à l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004.
26 Toutefois, il ne saurait être exclu que des problèmes techniques relèvent de ces circonstances extraordinaires, pour autant qu’ils découlent d’événements qui ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et qui échappent à la maîtrise effective de ce dernier. Il en serait ainsi, par exemple, dans la situation dans laquelle il serait révélé par le constructeur des appareils constituant la flotte du transporteur aérien concerné, ou par une autorité compétente, que ceux-ci, alors qu’ils sont déjà en service, sont atteints d’un vice caché de fabrication affectant la sécurité des vols. Il en serait de même en présence de dommages causés aux aéronefs par des actes de sabotage ou de terrorisme.
27 Il appartient donc à la juridiction de renvoi de vérifier si les problèmes techniques dont fait état le transporteur aérien impliqué dans l’affaire au principal ont découlé d’événements qui ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et qui échappaient à sa maîtrise effective.
[…]
34 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et quatrième questions posées que l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens qu’un problème technique survenu à un aéronef qui entraîne l’annulation d’un vol ne relève pas de la notion de «circonstances extraordinaires» au sens de cette disposition, sauf si ce problème découle d’événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à sa maîtrise effective. La convention de Montréal ne s’avère pas déterminante pour l’interprétation des causes d’exonération visées à l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004.
Sur la deuxième question
35 Eu égard à l’ensemble des questions posées, il convient de considérer que, par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la seule fréquence des problèmes techniques exclut que ces derniers relèvent de «circonstances extraordinaires» au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 lorsque les transporteurs aériens connaissent un taux d’annulation de vols en raison desdits problèmes supérieur à la moyenne.
36 Ainsi qu’il a été dit au point 27 du présent arrêt, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si les problèmes techniques invoqués par le transporteur aérien en cause au principal découlent d’événements qui ne sont pas inhérents à l’exercice normal de son activité et échappent à sa maîtrise effective. Il ressort de cette énonciation que la fréquence des problèmes techniques relevée chez un transporteur aérien n’est pas en soi un élément de nature à conclure à la présence ou non de «circonstances extraordinaires» au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004.
37 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la deuxième question posée que la fréquence des problèmes techniques relevée chez un transporteur aérien n’est pas en soi un élément de nature à conclure à la présence ou non de «circonstances extraordinaires» au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004.
[…]
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:
1) L’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, doit être interprété en ce sens qu’un problème technique survenu à un aéronef qui entraîne l’annulation d’un vol ne relève pas de la notion de «circonstances extraordinaires» au sens de cette disposition, sauf si ce problème découle d’événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à sa maîtrise effective. La convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999, ne s’avère pas déterminante pour l’interprétation des causes d’exonération visées à l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004.
2) La fréquence des problèmes techniques relevée chez un transporteur aérien n’est pas en soi un élément de nature à conclure à la présence ou non de «circonstances extraordinaires» au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004.
3) Le fait qu’un transporteur aérien ait respecté les règles minimales d’entretien d’un aéronef ne saurait à lui seul suffire pour établir que ce transporteur a pris «toutes les mesures raisonnables» au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 et, partant, pour libérer ledit transporteur de son obligation d’indemnisation prévue aux articles 5, paragraphe 1, sous c), et 7, paragraphe 1, de ce règlement.
Signatures