ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
22 novembre 2012
Dans l’affaire C-139/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Audiencia Provincial de Barcelona (Espagne), par décision du 14 février 2011, parvenue à la Cour le 21 mars 2011, dans la procédure
Joan Cuadrench Moré
contre
Koninklijke Luchtvaart Maatschappij NV,
[…]
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO L 46, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Cuadrench Moré à Koninklijke Luchtvaart Maatschappij NV (ci-après «KLM») au sujet du refus de cette dernière de l’indemniser à la suite d’une annulation de vol.
[…]
Le litige au principal et la question préjudicielle
16 M. Cuadrench Moré a effectué, auprès de KLM, une réservation pour un vol prévu le 20 décembre 2005 au départ de Shanghai (Chine) à destination de Barcelone (Espagne). Le vol KL 0896, qui devait effectuer ce trajet a été annulé, ce qui a obligé M. Cuadrench Moré à voyager le lendemain avec une autre compagnie, via Munich (Allemagne).
17 Le 27 février 2009, M. Cuadrench Moré a formé devant le Juzgado Mercantil no 7 de Barcelona un recours à l’encontre de KLM par lequel il a réclamé, sur le fondement du règlement no 261/2004, une indemnisation de 2990 euros, montant à majorer des intérêts et des frais, à titre de réparation du dommage subi en raison de l’annulation du vol en cause.
18 À cet égard, KLM a fait valoir que l’action était prescrite au motif que le délai de deux ans prévu à l’article 29 de la convention de Varsovie et dans lequel les actions en responsabilité à l’encontre des transporteurs aériens doivent être introduites avait expiré.
19 Par un jugement du 26 mai 2009, le Juzgado Mercantil no 7 de Barcelona a condamné KLM au paiement d’un montant de 600 euros, assorti des intérêts légaux, sur le fondement du règlement no 261/2004. Dans son jugement, cette juridiction a rejeté le moyen de défense soulevé par KLM en considérant que ni le délai de prescription prévu à l’article 29 de la convention de Varsovie ni celui prévu à l’article 35 de la convention de Montréal n’était applicable en l’espèce, dès lors qu’était en cause le règlement no 261/2004. Eu égard à l’absence de disposition expresse de ce règlement fixant le délai dans lequel doivent être intentées les actions y relatives, ladite juridiction a considéré que la réglementation espagnole était applicable.
20 Saisie en appel, l’Audiencia Provincial de Barcelona estime que, en l’absence de disposition expresse du règlement no 261/2004 en la matière, les arrêts du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C-344/04, Rec. p. I-403), ainsi que du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C-549/07, Rec. p. I-11061), lus conjointement avec l’arrêt du 22 octobre 2009, Bogiatzi (C-301/08, Rec. p. I-10185), ne permettent pas d’identifier, avec un degré de certitude suffisant, le délai de recours applicable.
21 Dans ce contexte, l’Audiencia Provincial de Barcelona a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Le [règlement no 261/2004] doit-il être interprété en ce sens que, s’agissant du délai de recours, est applicable l’article 35 de la convention de Montréal, qui prévoit un délai de deux ans, ou bien convient-il de considérer qu’est applicable une autre règle [du droit de l’Union] ou le droit national?»
Sur la question préjudicielle
22 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens que le délai dans lequel les actions ayant pour objet d’obtenir le versement de l’indemnité prévue aux articles 5 et 7 de ce règlement doivent être intentées est déterminé par l’article 35 de la convention de Montréal ou conformément à d’autres dispositions, et en particulier aux règles de chaque État membre en matière de prescription d’action.
23 À titre liminaire, il convient de rappeler que, en cas d’annulation d’un vol et sous réserve que celle-ci soit due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises, les articles 5 et 7 du règlement no 261/2004 reconnaissent aux passagers un droit à indemnisation variant suivant la distance et la destination du vol concerné, droit dont ces passagers peuvent se prévaloir, au besoin, devant les juridictions nationales.
24 À cet effet, il est constant que le règlement no 261/2004 ne comporte aucune disposition relative au délai de prescription des actions introduites devant les juridictions nationales et ayant pour objet d’obtenir le versement de l’indemnité prévue aux articles 5 et 7 de ce règlement.
25 Or, il est de jurisprudence constante que, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, pour autant que ces modalités respectent les principes d’équivalence et d’effectivité (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2010, Fuß, C-429/09, Rec. p. I-12167, point 72).
26 Il s’ensuit que le délai dans lequel les actions ayant pour objet d’obtenir le versement de l’indemnité prévue aux articles 5 et 7 du règlement no 261/2004 doivent être intentées est déterminé par le droit national de chaque État membre, pour autant que ces modalités respectent les principes d’équivalence et d’effectivité.
27 Cette constatation ne saurait être remise en cause, contrairement à ce que soutient KLM, par le fait que l’article 29 de la convention de Varsovie et l’article 35 de la convention de Montréal prévoient que l’action en responsabilité au titre des droits reconnus par ces conventions doit être intentée, sous peine de déchéance, dans le délai de deux ans à compter de l’arrivée à destination ou du jour où l’aéronef aurait dû arriver, ou de l’arrêt du transport.
28 En effet, la mesure d’indemnisation prévue aux articles 5 et 7 du règlement no 261/2004 se situe en dehors du champ d’application des conventions de Varsovie et de Montréal (voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 2012, Nelson e.a., C-581/10 et C-629/10, point 55).
29 Dès lors, la prescription biennale fixée à l’article 29 de la convention de Varsovie et à l’article 35 de la convention de Montréal ne saurait être considérée comme s’appliquant aux actions introduites, en particulier, au titre des articles 5 et 7 du règlement no 261/2004.
30 Cette constatation ne saurait non plus être contredite par l’arrêt Bogiatzi, précité, aux termes duquel la Cour a dit pour droit que le règlement no 2027/97 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à l’application de l’article 29 de la convention de Varsovie à une situation dans laquelle un voyageur demande la mise en cause de la responsabilité du transporteur aérien en raison du préjudice qu’il a subi lors d’un vol entre les États membres.
31 Il doit être relevé à cet égard que, ainsi qu’il ressort de l’article 1er du règlement no 2027/97, dans sa version en vigueur à l’époque des faits qui ont donné lieu à l’arrêt Bogiatzi, précité, ledit règlement concerne la responsabilité des transporteurs aériens en cas d’accident, qui est visée également à l’article 17 de la convention de Varsovie.
32 Le règlement no 2027/97 avait uniquement pour objet de substituer, s’agissant du transport aérien entre États membres, certaines dispositions plus protectrices des passagers victimes d’accidents aériens à celles prévues par la convention de Varsovie, sans pour autant écarter l’application des dispositions restantes, au nombre desquelles figuraient, en particulier, les modalités de mise en œuvre de l’action en responsabilité prévue à l’article 29 de cette convention (voir, en ce sens, arrêt Bogiatzi, précité, points 41 à 44). En revanche, le règlement no 261/2004 instaure un régime de réparation standardisée et immédiate des préjudices que constituent les désagréments dus aux retards et aux annulations de vol, lequel s’inscrit en amont de la convention de Montréal et, partant, est autonome par rapport au régime issu de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt Nelson e.a., précité, points 46, 55 et 57 ainsi que jurisprudence citée).
33 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que le règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens que le délai dans lequel les actions ayant pour objet d’obtenir le versement de l’indemnité prévue aux articles 5 et 7 de ce règlement doivent être intentées est déterminé conformément aux règles de chaque État membre en matière de prescription d’action.
[…]
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
Le règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, doit être interprété en ce sens que le délai dans lequel les actions ayant pour objet d’obtenir le versement de l’indemnité prévue aux articles 5 et 7 de ce règlement doivent être intentées est déterminé conformément aux règles de chaque État membre en matière de prescription d’action.
Signatures