Droit Aerien

Passagers indisciplinés (PAXI)

Absence d’indemnisation en cas de refus d’embarquement d’un passager indiscipliné – TJ Bobigny, ch. 7 sect. 3, 23 janv. 2024, n° 20/04886

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Compte tenu de la lettre de décharge attestant que le passager ne s'est pas conformé aux règles et qu'il s'est montré agressif verbalement, notamment à l'encontre du chef d'escale, et en l'absence de toute preuve d’une faute démontrée à l’encontre de la société Air France, la compagnie pouvait légitimement refuser d'embarquer le passager et toute demande indemnitaire liée à ce refus sur le fondement du Règlement 261/2004 doit être rejetée.

 

Texte intégral

TRIBUNAL JUDICIAIRE

de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 23 JANVIER 2024

Chambre 7/Section 3

AFFAIRE: N° RG 20/04886 – N° Portalis DB3S-W-B7E-UJAT

N° de MINUTE : 24/00049

Monsieur [R] [J] [E]

[…]

DEMANDEUR

C/

S.A. AIR FRANCE

[…]

DEFENDEUR

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Marjolaine GUIBERT, Vice-Présidente, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l article 812 du code de procédure civile, assistée aux débats de Madame Corinne BARBIEUX, faisant fonction de greffier.

DÉBATS

Audience publique du 12 Décembre 2023.

JUGEMENT

Rendu publiquement, par mise au disposition au greffe, par jugement Contradictoire et en premier ressort, par Madame Marjolaine GUIBERT, Vice-Présidente, assistée de Madame Corinne BARBIEUX, faisant fonction de greffier.

EXPOSE DU LITIGE

M. [R] [E] a réservé un vol n°0805 auprès de la société Air France au départ de [Localité 6] et à destination de [Localité 10] via [Localité 8] le 10 novembre 2018 à 23h50 à destination de [9], puis une correspondance le 11 novembre 2018 à 10h15 à l’aéroport d'[Localité 7] à destination de [Localité 10].

Son vol de retour a été annulé par la société Air France, laquelle lui a proposé de prendre un vol de retour avancé au 8 novembre 2018. Le jour du départ, il a fait l’objet d’un refus d’embarquement.

Il a acheté un nouveau billet pour effectuer le voyage [Localité 6] – [9] le 10 novembre 2018 à 23h50 puis [9] – [Localité 10] le 11 novembre 2018 à 7h30.

Le vol du 10 novembre 2018 prévu à 23h50 a été retardé et a décollé le 11 novembre 2018 à 3h30.

M. [R] [E] a envoyé un courrier recommandé de réclamation à la société Air France le 14 novembre 2018.

Par acte du 31 juillet 2019, M. [R] [E] a fait assigner la société Air France devant le tribunal judiciaire de Pontoise aux fins d’obtenir une indemnisation liée à un refus d’embarquement sur le vol AF 805 du 8 novembre 2018, à l’annulation du vol AF 805 du 10 novembre 2018, au retard du vol AF 805 du 10 novembre 2018 et à un défaut d’information.

Par décision du 3 juin 2020, le tribunal de Pontoise s’est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire de Bobigny.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 17 mars 2023, M. [R] [E] demande au tribunal de condamner la société Air France à lui payer :

— au titre de l’annulation du vol du 10 novembre 2018 : la somme de 600 euros au titre de l’indemnité forfaitaire, la somme de 5.500 euros au titre du préjudice moral et la somme de 2.500 euros au titre de la prise en charge de ses frais d’hébergement, de nourriture et de transport pour les deux jours de raccourcissement de son séjour ;

— au titre du refus d’embarquement du 8 novembre 2018 : la somme de 227,14 euros au titre du vol infructueux, la somme de 1.026 euros au titre du préjudice matériel subi et la somme de 20.000 euros au titre du préjudice moral ;

— au titre du retard du vol du 10 novembre 2018 : donner acte à la compagnie aérienne de sa proposition d’indemnisation de 600 euros au titre du retard et la condamner à lui payer la somme de 5.807,51 euros supplémentaires ;

— au titre du défaut d’information, la somme de 5.500 euros ;

— la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA pour l’audience du 14 février 2023, la société Air France demande au tribunal de débouter M. [R] [E] de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures, dans les conditions de l’article 455 du Code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 novembre 2023 et l’affaire a été plaidée à l’audience du 12 décembre 2023.

MOTIVATION

Sur le refus d’embarquement sur le vol AF 805 du 8 novembre 2018

En application de l’article 2.j) du règlement européen 261-2004, une compagnie peut refuser l’embarquement des passagers à son bord, sans rembourser les billets et sans indemniser les passagers, pour des raisons de santé, de sûreté ou de sécurité, ou de documents de voyages inadéquats.

M. [R] [E] fait grief à la société Air France de l’avoir empêché, sans motif valable, de prendre son vol de retour prévu pour le 8 novembre 2018 et sollicite l’indemnisation des préjudices en découlant.

Il produit cependant lui-même un document daté du 11 novembre 2018 par lequel il reconnaît expressément que son comportement a gravement perturbé le déroulement des opérations commerciales du vol AF 805 du 8 novembre 2018 au départ de [Localité 6] et à destination de [Localité 10] et s’engage à ne pas les reproduire sur le vol suivant. Ce faisant, il reconnaît notamment ne pas avoir respecté les consignes de sécurité, avoir refusé de se conformer aux consignes édictées par les agents et avoir agressé verbalement un agent d’escale.

Cette lettre de décharge, signée par ses soins, contredit les attestations qu’il verse aux débats dans le cadre de la présente procédure. Par ailleurs, la valeur probante desdites attestations est sujette à caution dès lors que, si les témoins ont pu assister à une partie de l’incident et se faire une opinion à ce sujet, rien ne démontre qu’ils auraient assisté à toutes la scène, laquelle s’est déroulée, selon le rapport d’incident du 9 novembre 2018, à trois endroits différents (poste de contrôle, salle d’embarquement puis comptoir d’enregistrement) et qu’ils en ont compris les circonstances.

M. [R] [E] reconnaît dans ses conclusions qu’un incident est effectivement survenu à l’occasion du vol retour initialement réservé, en date du 8 novembre 2018, le personnel de la société Air France lui refusant selon lui l’embarquement sans motif valable. La société Air France démontre quant à elle qu’un rapport « passager indiscipliné » a été établi par ses agents le 9 novembre 2018 à l’encontre de M. [R] [E], ce dernier ayant refusé de se conformer aux règles et s’étant montré agressif verbalement, notamment à l’encontre du chef d’escale.

S’il conteste désormais tout mauvais comportement et expose avoir été contraint de signer la lettre de décharge précitée, M. [E] n’apporte cependant aucune pièce de nature à démontrer la contrainte ou la violence qu’il dénonce avoir subie le 11 novembre 2018 lorsqu’il a signé la lettre de décharge.

Dans ces conditions, la lettre de décharge dispose d’une pleine valeur probatoire, de sorte que, en application de l’article 2.j) du règlement européen 261-2004, la société Air France, tenue de l’obligation de résultat d’assurer la sécurité présente et à venir de ses passagers, pouvait légitimement refuser l’embarquement de M. [E] sur le vol AF 805 du 8 novembre 2018 au départ de [Localité 6] et à destination de [Localité 10] via [Localité 8].

En l’absence de toute preuve d’une faute démontrée à l’encontre de la société Air Franc dans le refus d’embarquement précité, M. [R] [E] doit être débouté de toute demande indemnitaire liée à ce refus d’embarquement.

Sur l’annulation du vol AF 805 du 10 novembre 2018

M. [R] [E] sollicite encore la condamnation de la société Air France à lui verser la somme de 5.500 euros en réparation du préjudice causé par l’annulation initiale du vol AF 805 du 10 novembre 2018, la somme de 600 euros au titre de l’indemnité forfaitaire et la somme de 2.500 euros au titre de la prise en charge de ses frais d’hébergement, de nourriture et de transport.

Si la société Air France sollicite le débouté de cette prétention en arguant de ce qu’il a in fine pu prendre le vol initialement prévu, il n’en reste pas moins qu’il a dû se présenter à la demande de la société Air France à l’aéroport pour prendre un vol anticipé, la société Air France l’ayant informé de l’annulation du vol initialement payé, de sorte que le principe de l’annulation n’est pas contestable.

M. [R] [E] expose, sans être contredit sur ce point par la société Air France, que cette annulation est survenue moins de 7 jours avant son voyage de retour. Il indique que la société ne lui a pas fait payer un autre billet pour ce trajet et lui a accordé l’échange de son billet retour initial et ajoute que la société Air France ne lui a pas donné d’explication sur cette annulation.

L’article 2.1 du Règlement (CE) n°261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 définit l’annulation comme le fait qu’un vol qui était prévu initialement et sur lequel au moins une place était réservée n’a pas été effectuée.

L’article 5 du même texte prévoit que les passagers ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément à l’article 7 à moins qu’ils soient informés de l’annulation du vol moins de sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de deux heures après l’heure prévue d’arrivée.

Un transporteur n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées. Il incombe au transporteur aérien effectif de prouver qu’il a informé les passagers de l’annulation d’un vol ainsi que le délai dans lequel il l’a fait.

En l’espèce, il est constant que le vol litigieux a été originellement annulé par la société Air France et qu’il a été demandé à M. [E] de prendre un vol anticipé en date du 8 novembre 2018. La société Air France ne justifie pas l’avoir informé a minima 7 jours avant la date initialement prévue pour son vol, et il est constant que le vol de substitution ne lui permettait pas de partir au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue. La société Air France ne démontre pas plus la survenue de circonstances extraordinaires au sens de l’article 5.

Dans ces conditions, le transporteur aérien est tenu d’indemniser le passager dans les conditions de l’article 7.

En application de l’article 7 du règlement précité, la société Air France doit être condamnée à lui payer la somme de 600 euros à titre de dommages et intérêts du fait de l’annulation du vol originellement souhaité.

Si M. [E] sollicite une indemnisation de 5.500 euros en réparation de son préjudice moral, il ne produit aucune pièce justifiant du préjudice effectivement subi et doit être débouté de cette demande.

S’il sollicite encore dans ses moyens une indemnisation de 2.500 euros pour l’indemniser des frais exposés par les deux jours supplémentaires passé à [Localité 6], il n’apporte aucun élément de nature à étayer cette demande. La modification du vol initialement réservé pour celui du 8 novembre 2018 écourtait en réalité son séjour et ses frais à [Localité 6] et, comme indiqué précédemment, le refus d’embarquement s’avérait justifié au regard de l’incident survenu le 8 novembre, de sorte que la société Air France n’a pas à lui indemniser les frais supplémentaires pour les deux jours passé à [Localité 6]. Cette demande est rejetée.

Sur le retard du vol retour du 10 novembre 2018

M. [R] [E] sollicite à la fois la condamnation de la société Air France à lui payer la somme de 600 euros au titre d’une indemnisation forfaitaire, outre la somme de 5.807,51 euros au titre du décret n°2004-578 du 17 juin 2004.

L’avion devait initialement partir le 10 novembre 2018 à 23h50 et n’est parti que le 11 novembre à 3h30.

Pour statuer sur son droit à indemnisation à ce titre, il convient d’appliquer le règlement (CE) n°261/2004, lequel prévoit une indemnité forfaitaire de 600 euros pour les vols extracommunautaires de plus de 3.500 kilomètres en cas de retard de plus de 3 heures à destination finale.

La société Air France reconnaît l’existence de ce retard, lié à des difficultés opérationnelles, et justifie avoir proposé à M. [E] le 27 novembre 2018 un avoir électronique de 800 euros valable 12 mois et remboursable à hauteur de 600 euros en raison dudit retard.

Il n’est pas démontré que M. [E] aurait sollicité ce remboursement de 600 euros ou aurait profit de l’avoir précité dans le délai requis, de sorte que l’avoir doit être considéré comme caduc.

En application du règlement n°261/2004 la société Air France doit être condamnée à lui payer la somme forfaitaire de 600 euros en réparation du retard ayant affecté le vol du 10 novembre 2018.

Cette indemnité, forfaitaire, comme le reconnaît M. [E] dans ses écritures, couvre tout type de préjudice, y compris le préjudice moral. M. [R] [E] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice supérieur au montant de cette indemnisation, de sorte qu’il doit être débouté du surplus de ses prétentions.

Sur le défaut d’information

L’article 14 du Règlement n°261/2004 dispose que le transporteur aérien doit informer les passagers de leurs droits en cas d’annulation ou de retard de leur vol.

M. [E] soutient que la société Air France n’a pas respecté cette obligation et sollicite sa condamnation à lui payer la somme de 5.500 euros à titre de dommages et intérêts.

La société Air France conteste tout manquement à ce titre en exposant, sans en justifier par des pièces, remettre systématiquement à chaque passager qui se présente à son personnel une notice informative de ses droits en cas de retard, de refus d’embarquement ou d’annulation de vol.

Cependant, elle justifie de ce que son site internet comporte une page listant l’ensemble des droits et obligations des passagers au titre du règlement CE n°261/2004, que le passager doit impérativement valider préalablement à l’acquisition de son titre de transport. Cette page reste par ailleurs disponible sur ledit site internet.

Dans ces conditions, M. [E], avocat de profession et ayant mis en demeure la société Air France sur le fondement de ce Règlement européen dès le 14 novembre 2018, ne peut légitimement en l’espèce exciper d’un défaut d’information et d’une perte de chance de faire valoir des droits qu’il a exercés à peine quelques jours après son retour en France.

En conséquence, et en l’absence de tout préjudice démontré à ce titre, M. [E] est débouté de sa demande de condamnation de la société Air France à lui payer la somme de 5.500 euros pour défaut d’information.

[…]

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe,

Déboute M. [R] [E] de sa demande de dommages et intérêts consécutive au refus d’embarquement du 8 novembre 2018 ;

Condamne la société Air France à payer à M. [R] [E] la somme de 600 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’annulation du vol initial n°805 du 10 novembre 2018 ;

Condamne la société Air France à payer à M. [R] [E] la somme de 600 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du retard du vol de retour par lequel M. [E] a finalement voyagé ;

Déboute M. [R] [E] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut d’information ;

Condamne la société Air France aux entiers dépens ;

Condamne la société Air France à payer à M. [R] [E] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Déboute la société Air France de sa propre demande fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile ;

Rejette comme injustifiées les demandes plus amples ou contraires.

[…]