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Obtention d’un titre exécutoire par une société privée gestionnaire aéroportuaire – CAA de Douai, 27 avril 2023, n° 21DA02462

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Une personne morale de droit privé détenant une créance publique, qui ne bénéficie pas du privilège du préalable et ne peut émettre elle-même un titre exécutoire ni procéder à un recouvrement forcé, est recevable à présenter devant le tribunal administratif, pour obtenir un titre exécutoire, une demande tendant au recouvrement de cette créance.

 

[…]

Considérant ce qui suit :

Sur l’objet du litige :

1. Il résulte de l’instruction, d’une part, que le syndicat mixte des aérodromes de Lille-Lesquin et de Merville (SMALIM), propriétaire du patrimoine de l’aéroport de Lille-Lesquin, en a confié l’exploitation, par une délégation de service public, à la société de gestion de l’aéroport de la région de Lille (SOGAREL) puis à la société Aéroport de Lille (ADL), d’autre part, que ces sociétés ont autorisé le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) du Nord, par des conventions d’occupation temporaire prévoyant le paiement de redevances, à occuper le terrain sur lequel un centre d’incendie et de secours a été édifié.

2. Le SDIS du Nord a cessé tout paiement à partir du 1er mai 2020. La dernière convention a expiré le 31 décembre 2020 et n’a pas été prolongée. Le SDIS fait appel de l’ordonnance du 5 octobre 2021 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Lille l’a condamné à verser à la société ADL une provision de 103 421,03 euros correspondant d’une part à la redevance puis à l’indemnité d’occupation demandée pour la période du 1er mai 2020 au 30 avril 2021 et d’autre part à la quote-part de la taxe foncière due pour l’année 2020.

Sur le bien-fondé de la provision :

3. Aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie ».

4. Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s’assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l’existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge n’a d’autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l’obligation dont les parties font état. Dans l’hypothèse où l’évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d’une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant.

En ce qui concerne l’existence de l’obligation de payer :

5. En premier lieu, d’une part, aux termes de l’article 8.7.1 de la convention de délégation de service public entre le SMALIM et la société ADL, dont le contenu a été repris par la délibération du comité syndical du SMALIM du 21 octobre 2020 : « Le délégataire est habilité à délivrer (…) des conventions d’occupation temporaire (…) notamment dans le cadre des activités annexes exploitées par des tiers sur le périmètre délégué, dans les conditions prévues par le code général de la propriété des personnes publiques, le code général des collectivités territoriales (…) ».

6. D’autre part, aux termes de l’article 10.1.3 de la même convention : « (…) le délégataire est autorisé à percevoir (…) les produits de l’exploitation à des fins non aéronautiques du périmètre délégué dont les redevances domaniales, de ses annexes et de ses dépendances (…) Le délégataire perçoit les indemnités qui lui sont dues par des tiers au titre des missions mises à sa charge par le contrat (…) ».

7. Il résulte de l’ensemble de ces stipulations, qui mentionnent expressément les activités non aéronautiques exploitées par des tiers, même si la convention d’occupation temporaire n’a pas été prolongée après 2020 et même si le SDIS du Nord prend en charge l’entretien du centre d’incendie et de secours, que l’exception tirée de ce que seul le SMALIM et non la société ADL a qualité pour recouvrer les sommes dues pour l’occupation du domaine public doit être écartée.

8. En deuxième lieu, une personne morale de droit privé détenant une créance publique, qui ne bénéficie pas du privilège du préalable et ne peut émettre elle-même un titre exécutoire ni procéder à un recouvrement forcé, est recevable à présenter devant le tribunal administratif, pour obtenir un titre exécutoire, une demande tendant au recouvrement de cette créance.

9. Il résulte de ce qui précède, même si la convention d’occupation temporaire n’a pas été prolongée après 2020, que l’exception tirée de ce que seul le comptable public du SMALIM a qualité pour recouvrer les sommes dues pour l’occupation du domaine public doit être écartée.

10. Dans ces conditions, l’existence de l’obligation dont se prévaut la société ADL dans la présente instance doit être regardée comme non sérieusement contestable.

En ce qui concerne le quantum de l’obligation de payer :

11. D’une part, en l’absence de réglementation particulière, toute autorité gestionnaire du domaine public est compétente, sur le fondement des articles L. 2122-1, L. 2125-1 et L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques, pour délivrer les permissions d’occupation temporaire de ce domaine et fixer le tarif de la redevance due en contrepartie de cette occupation, en tenant compte des avantages de toute nature que le titulaire de l’autorisation est susceptible de retirer de cette occupation.

12. D’autre part, le gestionnaire du domaine public est fondé à réclamer à l’occupant qui utilise de manière irrégulière le domaine une indemnité compensant les revenus qu’il aurait pu percevoir d’un occupant régulier pendant cette période. A cette fin, il doit rechercher le montant des redevances qui auraient été appliquées si l’occupant avait été placé dans une situation régulière, soit par référence à un tarif existant, lequel doit tenir compte des avantages de toute nature procurés par l’occupation du domaine public, soit, à défaut de tarif applicable, par référence au revenu, tenant compte des mêmes avantages, qu’aurait pu produire l’occupation régulière de la partie concernée du domaine public.

13. Enfin, qu’elle détermine ou qu’elle révise le tarif d’une redevance d’occupation domaniale, l’autorité compétente doit tenir compte des avantages de toute nature que le titulaire de l’autorisation est susceptible de retirer de l’usage privatif du domaine public. Cette fixation ou cette révision du tarif ne saurait aboutir à ce que le montant de la redevance atteigne un niveau manifestement disproportionné au regard de ces avantages.

14. En premier lieu, le montant annuel de la redevance d’occupation du domaine public a été fixé à 70 000 euros puis 77 850,44 euros, majoré de la taxe sur la valeur ajoutée au taux en vigueur, par une convention d’occupation temporaire signée en 2010 par le SDIS du Nord puis par une convention à nouveau signée en 2015 par le SDIS au vu d’un avis du service des domaines selon lequel « compte tenu du marché immobilier local » la redevance « apparaît conforme à la valeur locative ». Ce montant n’a jamais été contesté par le SDIS lors de l’exécution des conventions, même quand il a accepté le changement du délégataire du service public en 2019. Pour un terrain de 23 852 m2 situé près de l’aéroport, le montant annuel dû se limitait ainsi à 3,26 euros par m2.

15. En deuxième lieu, la société ADL a chiffré le montant de la redevance puis de l’indemnité due pour l’occupation du terrain depuis le 1er mai 2020 au même niveau, seulement majoré de 0,75 % en 2020 et de 1,10 % en 2021 pour tenir compte de l’évolution de l’indice du coût de la construction, que la redevance payée par le SDIS au titre de la période antérieure et le SDIS ne démontre pas que les avantages retirés de l’usage du terrain ont été moindres que lors de la période antérieure.

16. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède que si l’article 6 de la dernière convention prévoyait le remboursement par le SDIS de la taxe foncière et de l’assurance payées par la SOGAREL pour le terrain et le bâtiment, si son article 17 excluait toute réclamation sur l’état des immeubles et si son article 30 laissait à l’occupant la charge des réparations, ce dont l’avis du service des domaines a déduit que le SDIS « assume ainsi l’ensemble des risques et charges » ce qui n’était pas « conforme » à ses « intérêts », ces circonstances ne suffisent pas à établir, alors que le montant de la taxe foncière s’est limité à 1 852,80 euros en 2019 et celui des dépenses d’entretien acquittées par le SDIS à 40 749,35 euros en 2020 et 4 366,16 euros en 2021, que le montant de la redevance puis de l’indemnité atteignait un niveau manifestement disproportionné au regard des avantages de toute nature retirés par le SDIS de l’usage du terrain.

17. En quatrième lieu, si l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques dispose que l’autorisation d’occupation du domaine public « peut être délivrée gratuitement » lorsque l’occupation contribue à assurer l’exercice des missions des « services de l’Etat » chargés de la sécurité publique, le SDIS est un établissement public départemental et les conventions susmentionnées n’ont pas prévu de gratuité alors pourtant que l’avis du service des domaines avait envisagé cette possibilité.

18. Il résulte de ce qui précède, même si le bâtiment du centre d’incendie et de secours est affecté à un service public et même si le SDIS, qui en revendique la propriété, estime qu’il est vétuste et en supporte les charges, n’occupe pas tout le terrain et intervient sur l’aéroport dans le cadre de sa mission de service public, la créance de la société ADL sur le SDIS doit être évaluée à la somme demandée de 103 421,03 euros.

19. Dans ces conditions, le montant de l’obligation dont se prévaut la société ADL dans la présente instance doit être regardé comme non sérieusement contestable.

20. Il résulte de tout ce qui précède que le SDIS du Nord n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Lille l’a condamné à verser à la société ADL une provision de 103 421,03 euros.

Sur la constitution d’une garantie :

21. Il résulte des dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative que l’obligation de constituer une garantie à laquelle le juge des référés peut subordonner le versement de la provision, a pour objet de protéger le débiteur de cette provision contre le risque d’insolvabilité du créancier pour le cas où ce dernier devrait reverser les sommes perçues.

22. En l’espèce, si le résultat de l’exercice de la société ADL clos le 31 décembre 2019 a été déficitaire, cette circonstance ne suffit pas à établir à la date de la présente ordonnance, alors que cette société est titulaire de la délégation de service public de l’aéroport jusqu’en 2039, l’existence d’un risque d’insolvabilité rendant nécessaire la constitution d’une garantie.

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

23. La demande du SDIS du Nord tendant à la mise à la charge de la société ADL, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, d’une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens doit être rejetée.

24. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge du SDIS du Nord une somme de 1 500 euros à verser à la société ADL au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

ORDONNE :

Article 1er : La requête du service départemental d’incendie et de secours du Nord est rejetée.

Article 2 : Le service départemental d’incendie et de secours du Nord versera à la société Aéroport de Lille une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au service départemental d’incendie et de secours du Nord et à la société Aéroport de Lille.