Droit Aerien

Aéroports/Responsabilité/Péril aviaire

Fautes de l’État dans sa mission de lutte contre le péril aviaire – CAA Paris, 4 octobre 2006, n° 03PA04599

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L'absence de visite des pistes de l'aéroport par le service de prévention aviaire et la mise hors d'usage des moyens fixes d'effarouchement constituent des fautes commises par l'État dans sa mission de lutte contre les périls aviaires sur les aérodromes devant être regardées, alors même qu'elles n'ont entraîné que la perte de chance sérieuse d'éviter l'accident, comme à l'origine de celui-ci.

 

[…]

Considérant que le 20 janvier 1995 à 17 h 32, un avion Falcon 20 de la compagnie Leadair Unijet s’est écrasé sur la piste 25 de l’aéroport de Paris-Le Bourget deux minutes après son décollage  ; que les trois membres d’équipage, dont Mlle Nathalie Y, hôtesse de l’air, et les sept passagers, ont été tués sur le coup  ; que l’enquête a établi que l’incendie brutal du réservoir de carburant qui a entraîné la chute de l’appareil avait été déclenché par l’ingestion de nombreux oiseaux de l’espèce vanneau huppé par le réacteur gauche de l’appareil  ; que par le jugement contesté du 15 octobre 2003, le Tribunal administratif de Paris a jugé que l’Etat était responsable, du fait des fautes commises dans sa mission de la lutte contre le péril aviaire, des conséquences dommageables de ce sinistre, et l’a condamné à verser 8 000 € à M. , père de Mlle Y, mais a rejeté les prétentions de M.  ;

Sur la responsabilité  :

Considérant qu’il résulte des pièces du dossier que l’agent chargé, selon les consignes intérieures de l’aéroport du Bourget, d’effaroucher les oiseaux sur les pistes de 14 h à 18 h le 20 janvier 1995 et qui circulait à cet effet à bord du véhicule adapté, a quitté son service à 16 h heure locale avec l’autorisation de son chef de service sans que soit organisé son remplacement  ; que si l’Etat soutient que la prévention du péril aviaire a continué d’être exercée par les autres personnels de l’aéroport, notamment la personne ayant véhiculé un essencier à 16 h 20 et 16 h 50 et les quatre agents présents dans le bureau de piste, il ne le démontre pas, ces personnels n’ayant consigné aucune observation  ; que ce défaut de surveillance, alors en outre que la ligne de bruiteurs effaroucheurs de la piste 25 était hors d’usage depuis plus d’un an, constitue un manquement aux prescriptions tant des consignes intérieures de l’aéroport, qui peuvent être utilement invoquées pour démontrer la défaillance de l’administration, que de l’article 6 de l’arrêté du 24 juillet 1989, qui ne prévoit d’interruption du service que pendant la « période nocturne » dont il n’est pas démontré qu’elle aurait débuté le 20 janvier 1995 avant 17 h 57 heure locale, début de la « nuit aéronautique »  ; que contrairement à ce que soutient l’Etat, la période crépusculaire et l’état des pistes juste après la fin d’un orage rendaient encore plus probable, à l’heure du décollage, la rencontre de vols de vanneaux huppés, dont des concentrations avaient d’ailleurs été observées sur l’aéroport le jour même et une d’entre elle dispersée à 14 h aux abords de la piste 25  ;

Considérant que la seule circonstance qu’il résulte de l’enregistrement des conversations dans le cockpit que le copilote a fait observer au pilote « des oiseaux » durant la phase de roulage vers 17 h 24, sans qu’il soit possible d’après cet enregistrement d’en connaître le nombre ou la position, ne permet pas de conclure que les pilotes, qui d’ailleurs n’étaient pas avertis qu’aucun des moyens de lutte contre le péril aviaire n’était alors en fonctionnement, auraient méconnu les dispositions de l’article 8 de l’arrêté du 24 juillet 1989 précité en ne signalant pas une concentration d’oiseaux ou pris un risque en décidant de décoller six minutes plus tard de la piste 25  ;

Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’une défaillance des moteurs aurait aggravé les conséquences de l’accident  ;

Considérant que l’accident litigieux a été causé par la présence de vanneaux huppés sur la piste 25 de l’aéroport lors du décollage de l’avion, alors que ce site n’avait pas été visité par le service de prévention du péril aviaire depuis 16 h au moins et que les moyens fixes d’effarouchement étaient hors d’usage  ; que les fautes commises par l’Etat dans sa mission de lutte contre le péril aviaire sur les aérodromes doivent donc être regardées, alors même qu’elles n’ont entraîné que la perte d’une chance sérieuse d’éviter l’accident, comme à l’origine de celui-ci  ; que l’Etat n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif l’a déclaré entièrement responsable des conséquences dommageables de cet accident  ;

Sur le préjudice  :

Considérant qu’en accordant au titre de la douleur morale 8 000 € à M. , père de Mlle Y, décédée à l’âge de 24 ans alors qu’elle ne résidait plus chez ses parents, le tribunal a fait de ce chef de préjudice une estimation qui n’est ni excessive ni insuffisante  ;

Considérant qu’il résulte des pièces du dossier d’appel que M. , âgé de 25 ans à l’époque de l’accident, vivait depuis plus de deux ans en concubinage stable avec Mlle Y  ; qu’il sera fait une juste appréciation de sa douleur morale en condamnant l’Etat à lui verser une somme de 7 500 €  ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la requête de l’Etat et les conclusions d’appel de M. doivent être rejetées et que le jugement litigieux du Tribunal administratif de Paris en date du 15 octobre 2003 doit être réformé dans la mesure où il rejette totalement la demande d’indemnisation de M.  ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative d’une part de laisser à la charge de l’Etat et de M. les frais exposés pour leur appel, d’autre part de condamner l’Etat à verser à M. une somme de 1 500 € en remboursement de ses frais de procédure  ;

D E C I D E

Article 1er  : L’Etat est condamné à verser à M. Christophe une somme de 7 500 € en réparation du préjudice que lui a causé le décès de Mlle Nathalie Y dans l’accident du 20 janvier 1995 et une somme de 1 500 € en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 2  : Le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 15 octobre 2003 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 3  : Le recours du MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DU LOGEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER et le surplus des conclusions de MM. Bernard et Christophe sont rejetés.