ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
4 octobre 2012
Dans l’affaire C-22/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Korkein oikeus (Finlande), par décision du 13 janvier 2011, parvenue à la Cour le 17 janvier 2011, dans la procédure
Finnair Oyj
contre
Timy Lassooy,
[…]
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, sous j), 4 et 5 du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO L 46, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la compagnie aérienne Finnair Oyj (ci-après «Finnair») à M. Lassooy à la suite du refus de cette dernière de l’indemniser pour avoir refusé son embarquement sur un vol reliant Barcelone (Espagne) à Helsinki (Finlande), le 30 juillet 2006.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12 À la suite d’une grève du personnel de l’aéroport de Barcelone le 28 juillet 2006, le vol régulier de 11 h 40 opéré par Finnair entre Barcelone et Helsinki a dû être annulé. Afin que les passagers de ce vol ne subissent pas un temps d’attente excessivement long, Finnair a décidé de réorganiser les vols postérieurs à celui-ci.
13 Ainsi, les passagers dudit vol ont été acheminés à Helsinki par le vol du lendemain à la même heure, le 29 juillet 2006, ainsi que par un autre vol du même jour, partant à 21 h 40, affrété spécialement à cet effet. Cette réorganisation a eu pour conséquence qu’une partie des passagers qui avaient acheté leur billet pour le vol du 29 juillet 2006 de 11 h 40 ont dû attendre le 30 juillet 2006 pour rejoindre Helsinki par le vol régulier de 11 h 40 ou par un vol de 21 h 40, spécialement affrété pour la circonstance. De même, certains passagers, comme M. Lassooy, qui avaient acheté leur billet pour le vol du 30 juillet 2006 de 11 h 40 et qui s’étaient régulièrement présentés à l’embarquement, ont rallié Helsinki par le vol spécial du même jour partant à 21 h 40.
14 Considérant que Finnair lui a refusé sans raison valable l’embarquement, au sens de l’article 4 du règlement no 261/2004, M. Lassooy a introduit un recours devant le Helsingin käräjäoikeus (tribunal de première instance de Helsinki) visant à obtenir que Finnair soit condamnée à lui verser l’indemnité prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ce règlement. Par jugement du 19 décembre 2008, cette juridiction a rejeté sa demande d’indemnisation en estimant que ledit règlement ne visait que l’indemnisation des refus d’embarquement liés à des situations de surréservation pour raisons économiques. Ladite juridiction a considéré que cet article 4 n’était pas applicable au cas d’espèce dans la mesure où la compagnie aérienne avait procédé à une réorganisation de ses vols à la suite d’une grève intervenue à l’aéroport de Barcelone, cette grève étant constitutive d’une circonstance extraordinaire à l’égard de laquelle Finnair avait pris toutes les mesures pouvant être exigées d’elle.
15 Par un arrêt du 31 août 2009, le Helsingin hovioikeus (cour d’appel de Helsinki) a annulé le jugement du Helsingin käräjäoikeus et condamné Finnair à verser à M. Lassooy la somme de 400 euros. À cet effet, la juridiction saisie en appel a considéré que le règlement no 261/2004 s’applique non seulement aux cas de surréservation, mais également à certains cas de refus d’embarquement pour des motifs opérationnels, et exclut ainsi que le transporteur aérien puisse être exonéré de son obligation d’indemnisation pour des raisons liées à une grève.
16 Dans le cadre du pourvoi formé par Finnair devant le Korkein oikeus (Cour suprême), cette juridiction fait état de ses doutes concernant la portée de l’obligation d’indemnisation des passagers ayant fait l’objet d’un «refus d’embarquement», tel que visé à l’article 4 du règlement no 261/2004, les raisons susceptibles de justifier un «refus d’embarquement» au sens de l’article 2, sous j), de ce règlement, ainsi que la possibilité pour un transporteur aérien de se prévaloir des circonstances extraordinaires visées à l’article 5, paragraphe 3, du même règlement, s’agissant de vols postérieurs à celui qui a été annulé en raison de telles circonstances.
17 C’est dans ce contexte que le Korkein oikeus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Convient-il d’interpréter le [règlement no 261/2004], et en particulier son article 4, en ce sens que son application est limitée aux refus d’embarquement résultant de situations de surréservation créées par un transporteur aérien pour des raisons économiques ou le règlement trouve-t-il aussi à s’appliquer aux refus d’embarquement pour d’autres motifs, tels que des motifs opérationnels?
2) Convient-il d’interpréter la disposition de l’article 2, point j), du [règlement no 261/2004] en ce sens que les motifs admissibles qui y sont visés se limitent aux seuls facteurs en rapport avec les passagers ou le refus d’embarquement peut-il être justifié par d’autres motifs? Si le règlement est à interpréter en ce sens que le refus d’embarquement peut être valablement justifié par d’autres motifs que ceux en rapport avec les passagers, convient-il de comprendre que ce refus peut être justifié aussi par une réorganisation des vols survenue à la suite de circonstances extraordinaires au sens des considérants 14 et 15 du règlement?
3) Convient-il d’interpréter le [règlement no 261/2004] en ce sens que le transporteur aérien peut s’exonérer de sa responsabilité en vertu de l’article 5, paragraphe 3, non seulement pour le vol qu’il a annulé lors des circonstances extraordinaires, mais aussi à l’égard des passagers des vols ultérieurs, lorsqu’il tente de répartir les inconvénients causés par les circonstances extraordinaires auxquelles il se trouve confronté – telles que les grèves – entre les membres d’un groupe de passagers plus important que celui constitué par les passagers du vol annulé en réorganisant les vols ultérieurs, de manière à ce qu’aucun passager ne subisse un retard démesuré. En d’autres termes, le transporteur aérien peut-il se prévaloir des circonstances extraordinaires aussi à l’encontre du passager d’un vol ultérieur dont le voyage n’a pas été affecté directement par ces circonstances? À cet égard, y a-t-il une différence sensible selon que le statut du passager et le droit à obtenir une indemnité sont appréciés au regard de l’article 4 du règlement, relatif au refus d’embarquement, ou de son article 5, qui a trait à l’annulation d’un vol?»
Sur les questions préjudicielles
[…]
Sur les deuxième et troisième questions
27 Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la survenance de «circonstances extraordinaires», conduisant un transporteur aérien à réorganiser des vols postérieurement à la survenance de celles-ci, est de nature à justifier le «refus d’embarquement» d’un passager sur l’un de ces vols ultérieurs et à exonérer ce transporteur de son obligation d’indemnisation, au titre de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, envers le passager auquel il refuse l’embarquement sur l’un de ces vols affrétés postérieurement auxdites circonstances.
28 En premier lieu, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la qualification de «refus d’embarquement», au sens de l’article 2, sous j), du règlement no 261/2004, ne peut être écartée que pour des motifs liés aux passagers en tant que tels ou si des motifs étrangers à ceux-ci et, en particulier, relatifs à la réorganisation de ses vols par un transporteur à la suite de «circonstances extraordinaires» l’ayant affecté peuvent également faire obstacle à une telle qualification.
29 À cet égard, il y a lieu de rappeler que cet article 2, sous j), exclut la qualification de «refus d’embarquement» pour deux séries de motifs. La première tient au non-respect par le passager s’étant présenté à l’embarquement des conditions fixées à l’article 3, paragraphe 2, de ce règlement. La seconde est liée à des cas où ce refus est raisonnablement justifié «notamment pour des raisons de santé, de sûreté ou de sécurité, ou de documents de voyages inadéquats».
30 La première série de motifs ne concerne pas l’affaire au principal. S’agissant de la seconde série de motifs, il convient de relever qu’aucune des raisons explicitement mentionnées audit article 2, sous j), n’est pertinente au principal. Or, en recourant à l’adverbe «notamment», le législateur de l’Union a entendu fournir une liste non exhaustive des hypothèses dans lesquelles un refus d’embarquement peut être raisonnablement justifié.
31 Pour autant, il ne saurait être déduit d’une telle formulation que doivent être considérés comme raisonnablement justifiés des refus d’embarquement pour un motif opérationnel tel que celui en cause au principal.
32 En effet, la situation en cause au principal est comparable à un refus d’embarquement en raison d’une surréservation «initiale», étant donné que le transporteur aérien avait réattribué la place du requérant, afin de transporter d’autres passagers, et qu’il a donc fait lui-même le choix entre plusieurs passagers à transporter.
33 Certes, cette réattribution a été effectuée afin d’éviter que les passagers concernés par des vols annulés pour des circonstances extraordinaires ne subissent un temps d’attente excessivement long. Toutefois, ledit motif n’est pas comparable à ceux explicitement mentionnés à l’article 2, sous j), du règlement no 261/2004, ce motif n’étant aucunement imputable au passager auquel l’embarquement est refusé.
34 Il ne saurait être admis qu’un transporteur aérien puisse, en se prévalant de l’intérêt d’autres passagers à être transportés dans un délai raisonnable, élargir sensiblement les hypothèses dans lesquelles il serait en droit de refuser de manière justifiée d’embarquer un passager. Cela aurait nécessairement pour conséquence de priver de toute protection un tel passager, ce qui irait à l’encontre de l’objectif du règlement no 261/2004 visant à garantir un niveau élevé de protection des passagers par une interprétation large des droits reconnus à ceux-ci.
35 En second lieu, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la possibilité pour un transporteur aérien de s’exonérer de son obligation d’indemnisation pour «refus d’embarquement», prévue aux articles 4, paragraphe 3, et 7 du règlement no 261/2004, au motif que ledit refus trouve son origine dans la réorganisation des vols de ce transporteur à la suite de la survenance de «circonstances extraordinaires».
36 À cet égard, il y a lieu de relever que, contrairement à l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, les articles 2, sous j), et 4 de celui-ci ne prévoient pas que, en cas de «refus d’embarquement» lié à des «circonstances extraordinaires» qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises, un transporteur aérien est exonéré de son obligation d’indemnisation des passagers refusés à l’embarquement contre leur gré (voir, par analogie, arrêt IATA et ELFAA, précité, point 37). Il s’ensuit que le législateur de l’Union n’a pas envisagé que ladite indemnisation puisse être écartée par des motifs liés à la survenance de «circonstances extraordinaires».
37 Par ailleurs, il ressort du considérant 15 du règlement no 261/2004 que les «circonstances extraordinaires» ne peuvent concerner qu’«un avion précis pour une journée précise», ce qui ne saurait être le cas d’un refus à l’embarquement opposé à un passager en raison de la réorganisation de vols faisant suite à de telles circonstances ayant affecté un vol précédent. En effet, la notion de «circonstances extraordinaires» vise à limiter les obligations du transporteur aérien, voire à l’exonérer de celles-ci, lorsque l’évènement en cause n’aurait pas pu être évité même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 53 de ses conclusions, si un tel transporteur est obligé d’annuler un vol prévu le jour d’une grève du personnel d’un aéroport puis prend la décision de réorganiser ses vols ultérieurs, ce transporteur ne saurait, en aucune façon, être considéré comme ayant été contraint par ladite grève de refuser l’embarquement à un passager qui s’est régulièrement présenté à l’embarquement deux jours après l’annulation dudit vol.
38 Dès lors, eu égard à l’exigence d’interprétation stricte des exceptions aux dispositions octroyant des droits aux passagers telle qu’elle ressort de la jurisprudence constante de la Cour (voir, en ce sens, arrêt Wallentin-Hermann, précité, point 17 et jurisprudence citée), il n’y a pas lieu d’admettre que le transporteur aérien puisse s’exonérer de son obligation d’indemnisation en cas de «refus d’embarquement» au motif que ce refus trouve son origine dans la réorganisation des vols de ce transporteur à la suite de «circonstances extraordinaires».
39 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que les obligations acquittées par les transporteurs aériens en vertu du règlement no 261/2004 le sont sans préjudice pour ces derniers de demander réparation à toute personne ayant causé le «refus d’embarquement», y compris des tiers, ainsi que le prévoit l’article 13 de ce règlement. Une telle réparation est dès lors susceptible d’atténuer, voire d’effacer, la charge financière supportée par lesdits transporteurs en conséquence de ces obligations (arrêt IATA et ELFAA, précité, point 90).
40 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que les articles 2, sous j), et 4, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doivent être interprétés en ce sens que la survenance de «circonstances extraordinaires» conduisant un transporteur aérien à réorganiser des vols postérieurement à celles-ci n’est pas de nature à justifier un «refus d’embarquement» sur lesdits vols ultérieurs ni à exonérer ce transporteur de son obligation d’indemnisation, au titre de l’article 4, paragraphe 3, du même règlement, envers le passager auquel il refuse l’embarquement sur l’un de ces vols affrétés postérieurement auxdites circonstances.
[…]
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
1) La notion de «refus d’embarquement», au sens des articles 2, sous j), et 4 du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise non seulement les refus d’embarquement dus à des situations de surréservation, mais également les refus d’embarquement pour d’autres motifs, tels que des motifs opérationnels.
2) Les articles 2, sous j), et 4, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doivent être interprétés en ce sens que la survenance de «circonstances extraordinaires» conduisant un transporteur aérien à réorganiser des vols postérieurement à celles-ci n’est pas de nature à justifier un «refus d’embarquement» sur lesdits vols ultérieurs ni à exonérer ce transporteur de son obligation d’indemnisation, au titre de l’article 4, paragraphe 3, du même règlement, envers le passager auquel il refuse l’embarquement sur l’un de ces vols affrétés postérieurement auxdites circonstances.
Signatures