Droit Aerien

Le site de Droit Aérien
du Cabinet d’Avocats
MAZOYER GUIJARRO

Utilité publique du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes confirmée

Utilité publique du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Oui) –  Conseil d’Etat, 17 octobre 2013

Conseil d’État

N° 358633
ECLI:FR:CESSR:2013:358633.20131017
Inédit au recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies

lecture du jeudi 17 octobre 2013

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu 1°, sous le n° 358633, la requête, enregistrée le 18 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par le Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (CEDPA), dont le siège est à l’Hôtel de ville, rue Pierre Civel à Notre-Dame-des-Landes (44130), représentée par ses co-présidents, par M. D… A…, demeurant…, et par Mme C…B…, demeurant… ; le CEDPA et autres demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de refus née du silence gardé par le Premier ministre sur leur demande d’abrogation, pour changement de circonstances de fait, du décret du 9 février 2008 déclarant d’utilité publique les travaux nécessaires à la réalisation du projet d’aéroport pour le Grand Ouest – Notre-Dame-des-Landes et de sa desserte routière et emportant approbation des nouvelles dispositions des plans locaux d’urbanisme des communes de Fay-de-Bretagne, Grandchamp-des-Fontaines, Notre-Dame-des-Landes, Treillières, Vigneux-de-Bretagne dans le département de la Loire-Atlantique ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens ;

Vu 2°, sous le n° 361548, la requête, enregistrée le 1er août 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par le Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (CEDPA), dont le siège est à l’Hôtel de ville, rue Pierre Civel à Notre-Dame-des-Landes (44130), représenté par ses co-présidents, par M. D… A…, demeurant…, et par Mme C…B…, demeurant… ; le CEDPA et autres demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de refus née du silence gardé par le Premier ministre sur leur demande d’abrogation, pour changement de circonstances de droit, du décret du 9 février 2008 déclarant d’utilité publique le projet d’aéroport du Grand Ouest-Notre-Dame-des-Landes et de sa desserte routière et emportant approbation des nouvelles dispositions des plans locaux d’urbanisme des communes de Fay-de-Bretagne, Grandchamp-des-Fontaines, Notre-Dame-des-Landes, Treillières, Vigneux-de-Bretagne dans le département de la Loire-Atlantique ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, notamment son article L. 11-1 ;

Vu le code des transports ;

Vu le code de l’urbanisme ;

Vu la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 ;

Vu la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 ;

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

1. Considérant que les requêtes nos 358633 et 361548 émanent des mêmes requérants et sont dirigées contre les refus implicites d’abroger le même décret du 9 février 2008 déclarant d’utilité publique les travaux nécessaires à la réalisation du projet d’aéroport pour le Grand Ouest – Notre-Dame-des-Landes et de sa desserte routière et emportant approbation des nouvelles dispositions des plans locaux d’urbanisme de diverses communes dans le département de la Loire-Atlantique ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel :  » Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (…) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (…)  » ; qu’il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

3. Considérant qu’en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition ;

4. Considérant qu’aux termes du I de l’article L. 11-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique :  » L’expropriation d’immeubles, en tout ou partie, ou de droits réels immobiliers ne peut être prononcée qu’autant qu’elle aura été précédée d’une déclaration d’utilité publique intervenue à la suite d’une enquête publique et qu’il aura été procédé contradictoirement à la détermination des parcelles à exproprier ainsi qu’à la recherche des propriétaires, des titulaires de droits réels et autres intéressés (…)  » ; que les requérants soutiennent que la portée effective donnée à ces dispositions par une jurisprudence constante du Conseil d’Etat méconnaîtrait l’exigence de nécessité publique résultant de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dès lors qu’elle n’imposerait pas au juge administratif, appelé à se prononcer sur l’utilité publique d’une opération nécessitant l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers, de rechercher s’il n’existe pas des solutions alternatives permettant d’atteindre les objectifs poursuivis dans des conditions économiques et sociales plus avantageuses ;

5. Considérant qu’il appartient au juge administratif, lorsqu’est contestée devant lui l’utilité publique d’une telle opération, de vérifier successivement que celle-ci répond à une finalité d’intérêt général, que l’expropriant n’est pas en mesure de la réaliser dans des conditions équivalentes sans recourir à l’expropriation, notamment en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d’ordre social ou économique que comporte l’opération ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente ; que les modalités de contrôle de la légalité des déclarations d’utilité publique ainsi rappelées répondent aux exigences résultant de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; que, par suite, la question soulevée, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu’il n’y a pas lieu, en conséquence, de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;

Sur les autres moyens :

6. Considérant que l’autorité administrative n’est tenue de faire droit à la demande d’abrogation d’une déclaration d’utilité publique que si, postérieurement à son adoption, l’opération concernée a, par suite d’un changement des circonstances de fait, perdu son caractère d’utilité publique ou si, en raison de l’évolution du droit applicable, cette opération n’est plus susceptible d’être légalement réalisée ;

En ce qui concerne la requête n° 358633 :

7. Considérant que les requérants soutiennent que le projet litigieux a désormais perdu son caractère d’utilité publique en raison des effets économiques de l’inclusion du secteur aérien dans le système communautaire d’échanges de quotas d’émission de gaz à effet de serre, de l’augmentation du prix du pétrole et du coût de l’opération depuis l’intervention du décret du 9 février 2008 ainsi que de la sous-évaluation des enjeux environnementaux liés au site ;

8. Considérant que l’argumentation tirée des effets de l’inclusion du secteur aérien dans le système communautaire d’échanges de quotas d’émission de gaz à effet de serre est dépourvue des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ; qu’il ressort des pièces du dossier que si le cours du baril de brent a atteint épisodiquement, sur la période 2008-2012, des niveaux supérieurs à 120 dollars, son cours mensuel moyen sur la même période s’est établi à un niveau proche de 90 dollars, peu éloigné des hypothèses retenues par les documents soumis à enquête publique, qui s’appuyaient sur des scénarios d’un cours du baril oscillant entre 60 et 80 dollars, avec des  » tests de sensibilité  » à 80 et 120 dollars ; qu’il ressort de l’étude produite par les requérants eux-mêmes que le maintien du prix du carburant à un niveau équivalent à 120 dollars par baril n’entraînerait à terme qu’une baisse de 1 à 3 % du nombre des passagers, en raison de la faible élasticité-prix de la demande et des progrès techniques en matière de consommation d’énergie ; que si les requérants soutiennent que les coûts liés à la réalisation d’une ligne de tram-train entre l’aéroport et Nantes, évalués à 75 M€, n’ont pas été inclus dans l’appréciation initiale du budget de l’opération, alors que ses effets positifs avaient pour leur part été pris en compte, que la valeur des économies en temps de trajet retenue dans l’étude de 2006 était surévaluée, que la comparaison des coûts et bénéfices entre, d’une part, les améliorations de l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique et, d’autre part, la construction d’un nouvel aéroport, était favorable à la première solution, de tels arguments, qui ne font pas état de changement des circonstances de fait mais seulement de divergences d’appréciation sur les études réalisées antérieurement au décret déclarant d’utilité publique les travaux nécessaires à la réalisation du projet d’aéroport pour le Grand Ouest – Notre-Dame-des-Landes, sont sans incidence sur l’appréciation de l’éventuelle perte d’utilité publique du projet ; que, de même, si les requérants, en se fondant notamment sur les travaux des commissions mises en place par le Premier ministre le 30 novembre 2012, font valoir que les atteintes aux zones humides et à la biodiversité ont été sous-évaluées lors des études préalables, ce qui devrait conduire à réaliser de nouvelles études renchérissant le coût du projet, de tels éléments ne révèlent pas, par eux-mêmes, un changement des circonstances de fait de nature à priver le projet de son caractère d’utilité publique ; qu’il résulte de ce qui précède que le moyen mentionné au point 7 doit être écarté ;

En ce qui concerne la requête n° 361548 :

9. Considérant que les requérants soutiennent qu’en raison de l’évolution du droit applicable, l’opération de construction de l’aérodrome de Notre-Dame-des-Landes ne serait plus susceptible d’être légalement réalisée ;

10. Considérant, en premier lieu, que les articles 1er, 7, 10 et 31 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement énoncent divers principes tels que la nécessité de privilégier les solutions respectueuses de l’environnement en apportant la preuve qu’une décision alternative plus favorable à l’environnement est impossible à un coût raisonnable, la lutte contre la régression des surfaces agricoles et naturelles et la contribution de la politique des transports au développement durable et au respect des engagements nationaux et internationaux de la France en matière d’émissions de gaz à effet de serre et d’autres polluants ; que dès lors que ces dispositions, qui sont contenues dans une loi de programmation et se bornent à fixer des objectifs généraux à l’action de l’Etat en matière de développement durable, sont par elles-mêmes dépourvues de portée normative, elles ne peuvent être regardées comme pouvant faire légalement obstacle à la réalisation de l’opération litigieuse ;

11. Considérant, en deuxième lieu, que la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche a inséré au 2° de l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme des dispositions prévoyant, dans les cas que cet article régit, que :  » Les projets de constructions, aménagements, installations et travaux ayant pour conséquence une réduction des surfaces situées dans les espaces autres qu’urbanisés et sur lesquelles est exercée une activité agricole ou qui sont à vocation agricole doivent être préalablement soumis pour avis par le représentant de l’Etat dans le département à la commission départementale de la consommation des espaces agricoles prévue à l’article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime  » ; que l’édiction de cette règle de procédure, qui est postérieure au décret du 9 février 2008 déclarant d’utilité publique l’opération litigieuse, ne constitue pas un changement dans les circonstances de droit de nature à faire obstacle à la réalisation du projet ;

12. Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes du XI de l’article L. 212-1 du code de l’environnement :  » Les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l’eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux  » ; que la déclaration d’utilité publique de travaux relatifs à un aérodrome n’a pas le caractère d’une décision administrative dans le domaine de l’eau au sens des dispositions de cet article ; que si les requérants soutiennent que la réalisation du projet litigieux serait incompatible avec les orientations du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Loire-Bretagne, approuvé par un arrêté préfectoral du 18 novembre 2009, relatives à la préservation et à la protection des zones humides, ils n’assortissent leur moyen d’aucune précision permettant d’en apprécier le bien-fondé ;

13. Considérant, en quatrième lieu, que les orientations de la politique des transports définies dans le schéma national des infrastructures de transport prévu par les articles L. 1212-1 et suivants du code des transports, qui définissent en termes généraux les objectifs poursuivis par l’Etat en matière de développement des réseaux de transport, sont par elles-mêmes dépourvues de portée normative ; qu’au surplus, il ressort des pièces du dossier que le document sur lequel se fondent les requérants à l’appui de leur argumentation ne constitue qu’un simple projet de schéma ; que le moyen tiré de ce que les orientations qu’il contient feraient obstacle à la réalisation du projet litigieux ne peut, dès lors et en tout état de cause, qu’être écarté ;

14. Considérant, en cinquième lieu, que les requérants soutiennent que le décret du 9 février 2008 méconnaîtrait les exigences résultant de l’article 6 de la Charte de l’environnement selon lequel les politiques publiques doivent promouvoir le développement durable et concilier la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ; que l’entrée en vigueur de la Charte, qui est antérieure au décret déclarant d’utilité publique l’opération litigieuse, ne constitue pas un changement de circonstances de droit susceptible de faire obstacle à la réalisation de cette opération ; que le moyen tiré de ce que les évolutions de la jurisprudence relative à la Charte postérieures au décret révéleraient elles-mêmes un tel changement de circonstances n’est pas, en tout état de cause, assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ;

15. Considérant, en dernier lieu, que les déclarations gouvernementales relatives à la mise en oeuvre des recommandations des commissions mentionnées au point 8, qui sont par elles-mêmes dépourvues de portée juridique, ne peuvent être regardées comme constitutives d’un changement des circonstances de droit de nature à faire obstacle à la réalisation de l’opération contestée ;

16. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les requêtes nos 358633 et 361548 du Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et autres doivent être rejetées ;

Sur les dépens :

17. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de laisser la contribution pour l’aide juridique à la charge du Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et autres ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance ;

D E C I D E :
————–
Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et autres.

Article 2 : Les requêtes nos 358633 et 361548 du Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et autres sont rejetées.

 

 

NOTRE COMMENTAIRE

Le Conseil d’Etat confirme la légalité du décret du 9 février 2008 déclarant d’utilité publique (DUP) les travaux nécessaires à la réalisation du projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes et de sa desserte routière et autorisant le maître d’ouvrage à procéder aux expropriations dans un délai de 10 ans, examiné au regard du bilan « coût-avantages » du projet. L’évolution des circonstances de fait et de droit soulevées par les requérants (effet sur le secteur aérien des quotas de gaz à effet de serre, augmentation du prix du pétrole amenant une baisse probable du trafic) pour permettre la remise en cause de la DUP n’est pas retenue par le juge suprême.

INDEX