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MAZOYER GUIJARRO

Sanction administrative à l’égard de l’exploitant aéroportuaire (manquement aux règles de sûreté) –  droits de la défense

Sanction administrative à l’égard de l’exploitant pour manquement aux obligations de sûreté – absence de communication de l’avis de la commission de sûreté d’un aéroport prévu à l’article R. 217-2 CAC – atteinte aux droits de de la défense (non) – CE 30 janvier 2012 -Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer, des Collectivités territoriales de l’immigration (349009 – 349010 et 349011)

 

 

Conseil d’État

N° 349009 (349010 et 349011)
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
2ème et 7ème sous-sections réunies
M. Bernard Stirn, président
Mme Catherine Chadelat, rapporteur
M. Damien Botteghi, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats

lecture du lundi 30 janvier 2012

(…)

 

Vu 1°), sous le n° 349009, le pourvoi, enregistré le 4 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, du MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE L’OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L’IMMIGRATION ; le MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE L’OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L’IMMIGRATION demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt n° 09VE03046 du 1er mars 2011 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a annulé, d’une part, le jugement n° 0510794-0605338-0605730 du 18 juin 2009 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de la société Aéroports de Paris tendant à l’annulation de la décision du préfet de la Seine-Saint-Denis du 20 juillet 2005 lui infligeant deux amendes, d’un montant respectif de 3 000 et 2 000 euros, pour manquement à ses obligations de sûreté aéroportuaire ainsi que du titre de perception subséquent du 26 juillet 2005 du trésorier payeur général de la Seine-Saint-Denis, d’autre part, cette décision et ce titre de perception ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel formé par la société Aéroports de Paris devant la cour administrative d’appel de Versailles ;

(…)

Considérant qu’aux termes de l’article R. 217-1 du code de l’aviation civile dans sa rédaction alors applicable :  » (…) II. – En cas de manquement constaté aux dispositions : / (…) c) Des arrêtés et mesures pris en application de l’article R. 213-1-1 ; (…) / Le préfet peut, en tenant compte de la nature et de la gravité des manquements et éventuellement des avantages qui en sont tirés, après avis de la commission instituée à l’article R. 217-4 [commission sûreté d’un aérodrome], prononcer à l’encontre de la personne morale responsable une amende administrative d’un montant maximum de 7 500 euros (…) « ; qu’aux termes de l’article R. 217-2 du même code :  » Les manquements aux dispositions énumérées à l’article R. 217-1 font l’objet de constats écrits dressés par les militaires de la gendarmerie, les officiers et les agents de la police nationale, les agents des douanes ainsi que par les fonctionnaires et agents spécialement habilités et assermentés en application de l’article L. 282-11. Ils portent la mention des sanctions encourues. Ils sont notifiés à la personne concernée et communiqués au préfet par le chef du service auquel appartient le rédacteur du constat. / A l’expiration du délai donné à la personne concernée pour présenter ses observations, le préfet peut saisir la commission instituée à l’article R. 217-4 qui émet un avis sur les suites à donner. / La personne concernée doit avoir connaissance de l’ensemble des éléments de son dossier. Elle doit pouvoir être entendue par la commission avant que celle-ci émette son avis et se faire représenter ou assister par la personne de son choix (…)  » ;

Considérant qu’il ressort des dossiers soumis aux juges du fond que, par décisions en date des 11 février 2005, 20 juillet 2005 et 17 octobre 2005, le préfet de la Seine-Saint-Denis a infligé à la société Aéroports de Paris, après avoir consulté la commission sûreté de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle devant laquelle celle-ci a été entendue après communication du dossier, des amendes pour divers manquements aux règles aéroportuaires de sécurité prévues à l’article R. 213-1-1 du code de l’aviation civile ; que, par les arrêts attaqués, la cour administrative d’appel de Versailles, sur appel de la société, a annulé ces décisions au motif que l’avis de la commission de sûreté n’avait pas été préalablement communiqué à la société ; que le MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE L’OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L’IMMIGRATION se pourvoit en cassation contre ces arrêts ;

Considérant que le respect du principe général des droits de la défense implique que la personne concernée, après avoir été informée des griefs formulés à son encontre, soit mise à même de demander la communication de son dossier et dispose de la faculté de pouvoir présenter utilement ses observations avant que l’autorité disposant du pouvoir de sanction se prononce ;

Considérant que la procédure particulière prévue par l’article R. 217-2 du code de l’aviation civile prévoit que la commission sûreté d’un aéroport peut être saisie pour avis par le préfet avant que celui-ci prononce une sanction pour manquement aux règles de sécurité aéroportuaire ; que cette commission émet son avis au vu des seuls éléments du dossier dont la personne concernée, après avoir été informée des griefs formulés à son encontre, peut demander la communication ; que cet article organise une procédure contradictoire, impliquant le droit pour la personne en cause de formuler ses observations écrites et d’être entendue par la commission ; qu’eu égard aux garanties ainsi apportées, la procédure répond aux exigences qu’implique le respect des droits de la défense ; que ni l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 ni aucun principe général du droit et en particulier celui des droits de la défense n’imposent en revanche la communication de l’avis de la commission à la personne concernée ; que, par suite, en jugeant que les dispositions de l’article R. 217-2 du code de l’aviation civile impliquaient, afin de garantir le respect des droits de la défense, la communication à la société Aéroports de Paris de l’avis émis par la commission saisie par le préfet avant que celui-ci ne prenne une sanction, la cour administrative d’appel de Versailles a entaché ses arrêts d’une erreur de droit ; que, dès lors, le MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE L’OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L’IMMIGRATION est fondé à demander l’annulation des arrêts qu’il attaque ;

D E C I D E :
————–

Article 1er : Les arrêts n° 09VE03046, n° 09VE03047 et n° 09VE03048, en date du 1er mars 2011, de la cour administrative d’appel de Versailles sont annulés.
(…)

 





NOTRE COMMENTAIRE

L’absence de communication de l’avis de la commission de sûreté aéroportuaire saisie par le préfet préalablement à une décision de sanction à l’égard de l’exploitant de l’aéroport ne contrevient pas aux droits de la défense.


AUTRE COMMENTAIRE
Cet arrêt a été rendu sur des conclusions du rapporteur public qui considérait au contraire que la communication de l'avis était requise au regard du principe des droits de la défense (conclusions de D. Botteghi; A.J.D.A., p. 1054 et suiv).




Selon le Conseil d'Etat, la procédure de sanction de l'exploitant aéroportuaire pour manquement à ses obligations en matière de sûreté aéroportuaire prévue à l'article R. 217-2 du code de l'aviation civile implique le respect des droits de la défense, principe constitutionnel reconnu en matière de sanction.




Le Conseil d'Etat considère que le droit de la défense implique pour l'exploitant de l'aérodrome d'être informé des griefs qui lui sont reprochés, d'avoir  communication de son dossier et la possibilité de présenter ses observations avant que le préfet ne se prononce, étant précisé que l'article R. 217-2 du code de l'aviation civile prévoit en outre que lorsque la commission est saisie, l'exploitant peut formuler des observations écrites et être entendu par cette commission.




En revanche, la Haute juridiction estime qu'aucun principe général du droit ou disposition législative qui serait tirée de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (DCRA) n'impose la communication de l'avis de la commission consultative avant que le préfet ne prenne la sanction.




C'est la position générale du Conseil d'Etat en matière de sanction disciplinaire (CE 5 juin 1959, Sieur Sietz ; CE 4 mars 1996, Coutellier, 122469; CE 10 avril 2009, Petit, 312092), sauf rares exceptions comme, par exemple, en ce qui concerne la procédure pour non-respect des règles relatives aux nuisances aéroportuaires. Dans le cadre de cette procédure (depuis modifiée), l'avis de la Commission nationale de prévention des nuisances devait être communiqué préalablement à toute sanction de l'ACNUSA (CE 31 janvier 2007 Corsair - toutefois l'ancien article L. 227-4 du code de l'aviation civile prévoyait expressément que la personne concernée devait avoir connaissance de l'ensemble des éléments de son dossier durant la procédure suivie devant l'Autorité et la Commission ce qui n'est pas le cas de l'article R. 217-2 qui ne comporte pas une telle précision).




Toutefois, selon un commentateur de cet arrêt, en pratique, cet arrêt ne conduira pas à préjudicier aux droits des exploitants d'aéroports car d'une part, ils sont membres de droit de la commission de sûreté et devraient finalement avoir accès à l'avis de cette commission ; d'autre part, ils ont accès à l'ensemble du dossier, soit le même que celui de la commission devant laquelle, par ailleurs, ils peuvent présenter des observations (voir à ce titre la note de R. Felsenheld, LPA, 3 octobre 2012 p.10-15).