Bruit des aéronefs aux abords de l’aérodrome de Deauville – demande d’indemnisation des riverains – expertise – nullité du rapport de l’expert – rapport retenu à titre de simple information – nombre limité de mouvements par an – absence de préjudice anormal et spécial – rejet. Cour administrative d’appel de Nantes, 20 décembre 2000, req. n° 99NT01357, M. et Mme Célice.
No 99NT01357
M. et Mme Bruno CELICE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
M.BALLOUHEY,
Président de chambre
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
M.MARGUERON,
Rapporteur
M.LALAUZE,
Commissaire du gouvernement
Séance du 22 novembre 2000
Lecture du 20 décembre 2000
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE NANTES
(2ème chambre)
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 5 juillet 1999, présentée pour M. et Mme Bruno CELICE, demeurant Le Bal en Bois, La Croix Sonnet 14800 Touques (Calvados), par Me Christian HUGLO, avocat au barreau de Paris ;
M. et Mme CELICE demandent à la Cour:
1 « ) d’annuler le jugement n » 98-1435 et 98-1436 en date du 4 mai 1999 du Tribunal administratif de Caen en tant que, par ses articles ler, 2 et 3, ce jugement, respectivement, a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la chambre de commerce et d’industrie (C.C.1.) du Pays d’Auge et l’Etat à leur verser les sommes de 1 080 000 F et de 162 810 F, avec intérêts à compter du 21 avril 1994 ou, à défaut, du 22 décembre 1997, en réparation des préjudices qu’ils subissent du fait du fonctionnement de l’aérodrome de Deauville-Saint-Gatien, a mis à leur charge les frais de l’expertise ordonnée en référé et les a condamnés à verser à la C.C.1. du Pays d’Auge et à la commune de Deauville la somme totale de 1 000 F au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
20) de condamner la C.C.1. du Pays d’Auge à leur payer la somme de 1 080 000 F au titre de la perte de la valeur vénale de leur propriété et de la condamner ainsi que l’Etat à leur payer la somme de 162 810 F au titre des frais d’isolation, avec intérêts au taux légal à compter du 21 avril 1994 ou, à défaut, du 22 décembre 1997;
Ils soutiennent :
– que le caractère non-contradictoire des opérations d’expertise relevé par le jugement attaqué résulte de l’attitude d’obstruction adoptée par les défendeurs ; qu’en tout état de cause, l’expert a effectué des mesures précises de bruit qui valent au moins à titre d’information ;
– que le tribunal administratif a écarté leurs conclusions sans se prononcer au regard de la situation particulière de leur propriété eu égard à sa localisation par rapport à l’aérodrome, ni définir de façon précise le niveau du bruit résultant du trafic aérien ;
– que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en estimant que le trouble de voisinage dont réparation est demandée correspond au seul accroissement des nuisances sonores qui résulte de l’allongement de la piste, alors qu’il résulte du fonctionnement de l’ouvrage dans sa configuration actuelle, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de la situation préexistante ;
– que l’appréciation de l’anormalité du trouble de voisinage subi doit se faire en fonction de la seule importance des nuisances sonores, sans qu’il y ait lieu de s’attacher à l’intérêt général que présente l’ouvrage public ;
– qu’ils subissent un dommage anormal en raison de l’exposition au bruit, telle que définie par l’expert ;
– que l’expert a exactement indiqué dans son rapport l’altitude des avions après décollage en direction de la mer;
– qu’ils subissent le bruit provenant d’appareils civils de fort tonnage qui excède le seuil de dangerosité de 90 dBA, ainsi que celui provoqué par l’ensemble des autres appareils civils et militaires qui utilisent l’aérodrome et dont le tribunal administratif n’a pas tenu compte ;
– qu’il résulte du rapport d’expertise qu’au droit de leur propriété le trafic de l’aérodrome est à l’origine d’émergences sonores très importantes
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que pour apprécier l’importance du bruit subi, le tribunal administratif s’est fondé sur des statistiques communiquées par une association de défense, alors qu’il y avait lieu de se reporter, s’agissant de la réalité du trafic de l’aérodrome, aux documents produits dans le rapport d’expertise et émanant notamment de l’exploitant de l’aérodrome; qu’il en ressort une forte augmentation des mouvements d’appareils, après une période de fermeture de l’aérodrome liée à la réalisation de travaux;
– que les nuisances subies sont également nocturnes ;
– que le trouble subi est d’autant plus fortement ressenti en raison de l’environnement de la propriété
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que la mise en oeuvre du nouveau plan des servitudes aéronautiques de dégagement, au demeurant établi sur la base d’un allongement plus important de la piste, aggrave les nuisances sonores en favorisant la dispersion du bruit;
– que l’aérodrome connaît régulièrement des épisodes de trafic plus dense et plus bruyant, liés à des manifestations locales ;
– que, s’agissant des chefs de préjudice et de leur évaluation, ils se réfèrent à leur demande devant le tribunal administratif
Vu le jugement attaqué;
Vu le mémoire, enregistré le 17 juillet 2000, présenté par le ministre de l’équipement, des transports et du logement, qui déclare s’en remettre à ses conclusions et moyens de première instance;
Vu le mémoire, enregistré le 8 août 2000, présenté pour la C.C.1. du Pays d’Auge et la commune de Deauville, par Me Jean CHEVRIER, avocat au barreau de Paris;
La chambre de commerce et d’industrie et la ville demandent à la Cour:
1 « ) de rejeter la requête de M. et Mme CELICE ;
2 ») de condamner M. et Mme CELICE à leur verser la somme de 10 000 F au titre de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Elles soutiennent:
– que c’est à bon droit que le tribunal administratif a regardé comme irrégulières les opérations d’expertise, menées en méconnaissance des missions définies et de façon non contradictoire ; que le rapport d’expertise ne présente pas d’utilité s’agissant des mesures de bruit;
– qu’au soutien de leur demande, M. et Mme CELICE se prévalaient d’un accroissement des nuisances sonores lié à l’allongement de la piste et que le tribunal administratif s’est prononcé sur ce point pour rejeter la demande ;
– que la qualité publique ou privée du gestionnaire de l’ouvrage dont le fonctionnement est mis en cause est sans influence;
– que l’expert ne pouvait à aucun titre modifier le plan d’exposition au bruit arrêté en 1978 et que ce plan a d’ailleurs été établi sur la base d’une longueur de piste de 2 720 m
– que, s i agissant de l’énergie sonore développée par les aéronefs, l’expert n’a pas tenu compte de l’évolution de la technologie des appareils;
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– que même en se fondant sur les statistiques des riverains, plus favorables à leurs thèses alors qu’elles ne peuvent faire foi, le tribunal administratif a pu constater l’absence d’un préjudice anormal et spécial à la suite de l’allongement de la piste
que les statistiques communiquées par l’exploitant portaient sur l’ensemble des mouvements d’aéronefs, y compris les vols réguliers au demeurant de fréquence hebdomadaire au plus;
– que le nombre de mouvements est exactement égal au double du nombre d’avions;
– que les opérations de « touch and go » des appareils militaires sont sans rapport avec la longueur de la piste et avaient déjà lieu avant l’allongement de celle-
ci ;
– que l’existence de vols de nuit, dont le nombre est largement inférieur à celui indiqué par M. et Mme CELICE, est également sans rapport avec la longueur de la piste;
_ que l’anormalité alléguée du préjudice qui résulterait de l’environnement de la propriété des requérants est en rapport avec l’implantation de l’aérodrome et non avec l’allongement de la piste;
– que les manifestations exceptionnelles dont font état M. et Mme CELICE soit sont antérieures à la mise en service de la nouvelle piste, soit, en tout état de cause, pouvaient avoir lieu sans allongement de piste ;
Vu l’ordonnance en date du 20 septembre 2000 du président de la 2ème chambre prononçant la clôture de l’instruction à partir du 13 octobre 2000 ;
Vu le mémoire, enregistré le 22 septembre 2000, présenté pour M. et Mme CELICE, qui persistent dans les conclusions et moyens de leur requête et soutiennent, en outre :
– que le bon déroulement des opérations d’expertise a été entravé par l’attitude du gestionnaire de l’aérodrome ;
– que l’aérodrome continue d’accueillir des appareils d’ancienne génération, particulièrement bruyants ;
-que la question du sens de décollage des avions est inopérante
-que le seul critère pertinent est le nombre total des mouvements
– qu’il y a lieu de tenir compte des manoeuvres de « touch and go » des appareils militaires
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Vu le mémoire, enregistré le 9 octobre 2000, présenté par le ministre de la défense, qui demande à la Cour de confirmer le jugement du 4 mai 1999 du Tribunal administratif de Caen en tant qu’il met l’Etat hors de cause, par les motifs adoptés par le tribunal administratif à cet égard
Vu les autres pièces du dossier;
Vu le code de l’aviation civile;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel
Vu la loi n » 87-1127 du 31 décembre 1987
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 22 novembre 2000:
– le rapport de M. MARGUERON, premier conseiller,
– les observations de Me NAHMIAS, substituant Me HUGLO, avocat de M. et Mme CELICE,
– les observations de Me CHEVRIER, avocat de la chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Auge et de la ville de Deauville,
– et les conclusions de M. LALAUZE, commissaire du gouvernement;
Considérant que M. et Mme CELICE font appel du jugement du 4 mai 1999 du Tribunal administratif de Caen en tant que ce jugement rejette leurs conclusions tendant à la condamnation de la chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Auge, exploitant de l’aérodrome de Deauville-Saint-Gatien au titre d’un contrat de concession, et de l’Etat à les indemniser des préjudices subis du fait du fonctionnement de cet aérodrome, qu’il met à leur charge les frais de l’expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif et qu’il les condamne à verser à la chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Auge et à la ville de Deauville la somme de 1 000 F sur le fondement des dispositions de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel
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Sur la régularité des opérations d’expertise_
Considérant que pour estimer que les opérations d’expertise étaient irrégulières, le tribunal administratif s’est fondé, notamment, sur ce que les mesures de bruit effectuées par l’expert en août 1996 ainsi qu’en mai et juin 1997 et sur lesquelles reposait le rapport d’expertise n’avaient pas revêtu un caractère contradictoire ; qu’en se bornant à faire valoir que l’expert a dû procéder à cette série de mesures en raison de l’attitude de l’exploitant qui aurait fait obstacle au déroulement dans des conditions normales de la première série de mesures de bruit qu’avait auparavant réalisée l’expert, sans contester le défaut de caractère contradictoire qui a été relevé, M. et Mme CELICE ne critiquent pas utilement le motif ainsi adopté par les premiers juges ; que, toutefois, l’irrégularité ainsi constatée ne fait pas obstacle à ce que le rapport d’expertise établi dans ces conditions, mais sur lequel les défendeurs ont pu présenter leurs observations, soit retenu à titre d’information, ainsi que l’a estimé le tribunal administratif, dans la mesure où il contient des constatations de fait dont l’exactitude n’est pas contestée ;
Sur les conclusions indemnitaires de M. et Mme CELICE:
Considérant qu’il résulte de l’instruction, et en particulier des éléments de fait non sérieusement contestés du rapport d’expertise, que la propriété de M. et Mme CELICE est située Le Bal en Bois, La Croix Sonnet, sur le territoire de la commune de Touques, à quelques centaines de mètres de l’extrémité nord-ouest de la piste principale de l’aérodrome de Deauville-Saint-Gatien ; que, si la grande majorité des décollages s’effectue dans cette direction et que la propriété des requérants est soumise à un bruit qui peut atteindre une forte intensité lors du passage de certains types d’avions « gros porteur », d’appareils destinés au transport des chevaux ou d’appareils militaires effectuant des entraînements, la fréquence des mouvements de ces différentes catégories d’avions, alors même que l’allongement de la piste de 2 1 00 à 2 550 mètres achevé en 1 993 et la mise en oeuvre corrélative d’un nouveau plan des servitudes aéronautiques de dégagement ont été de nature à accroître l’intensité des bruits, demeure de l’ordre de 300 mouvements par an ; qu’ainsi, dans les circonstances de l’espèce, et sans que le caractère de l’environnement de la propriété puisse avoir d’influence à cet égard, M. et Mme CELICE ne justifient pas de l’existence en ce qui les concerne de troubles qui excéderaient ceux que peuvent être appelés à subir, dans l’intérêt général, les riverains d’un aérodrome ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. et Mme CELICE ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Caen a rejeté leurs conclusions indemnitaires
Sur les frais d’exp
Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction que le tribunal administratif n’aurait pas fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en
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mettant les frais de l’expertise ordonnée en référé à la charge de M. et Mme CELICE;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article
L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administrâtes d’appel
Considérant, d’une part, qu’en se bornant à demander l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il les a condamnés à verser une somme à la chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Auge et à la ville de Deauville sur le fondement des dispositions de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel sans invoquer de moyen à cet égard, M. et Mme CELICE ne mettent pas la Cour en mesure de se prononcer sur les erreurs que le tribunal administratif aurait pu commettre en prononçant cette condamnation ;
Considérant, d’autre part, que M. et Mme CELICE ne dirigent aucune conclusion au fond contre la ville de Deauville ; que, par suite, cette dernière n’est pas fondée à demander la condamnation de M. et Mme CELICE à lui verser une somme au titre des frais exposés par elle dans la présente instance et non compris dans les dépens ;
Considérant, enfin, qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des dispositions de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel de condamner M. et Mme CELICE à payer à la chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Auge une somme de 150 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens
DÉCIDE:
Article 1er La requête de M. et Mme CELICE est rejetée.
Article 2M. et Mme CELICE verseront à la chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Auge une somme de cent cinquante francs (1 50 F) au titre de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.
Article 3Les conclusions de la ville de Deauville tendant à l’application des dispositions de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel sont rejetées.
Article 4Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme CELICE, à la chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Auge, à la ville de Deauville, au ministre de l’équipement, des transports et du logement et au ministre de la défense.
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Délibéré à l’issue de la séance du 22 novembre 2000, où siégeaient:
– M. BALLOUHEY, président de chambre,
– M. MARGUERON, Mme STEFANSKI, premiers conseillers,
Prononcé en audience publique, le 20 décembre 2000.
Le rapporteur, Le président, Y.MARGUERON H.M BALLOUHEY Le greffier,
C. CROIGER
NOTRE COMMENTAIRE
A rapprocher de l’arrêt du 13/12/12 de la CEDH, saisie par les requérants à la suite de l’épuisement des voies de recours internes.